Publié le 17.06.2019

Prix Fritz-Stolz 2019


Virginie Pache a reçu le Prix Fritz Stolz remis par la SGR / SSSR le 12 juin 2019 pour son mémoire de master rédigé dans le programme de master « Sociétés plurielles : cultures, politique et religions » à l'Université de Fribourg.

« RELIGION, GUERRE ET MIGRATION : LES SYRIENS AU LIBAN »

Ce mémoire de maîtrise a pour objectif d’aborder la problématique suivante : comment la guerre et la migration affectent-elles la religion et peut-on alors parler d’une évolution de la religiosité ? Pour y répondre, Virginie Pache, étudiante à l’Université de Fribourg, a décidé de baser sa recherche sur le cas des Syriens réfugiés au Liban. Avec l’aide d’une ONG libanaise, Virginie a pu mener vingt-trois entretiens semi-directifs avec un total de quarante-quatre réfugiés syriens, à Beyrouth et dans trois camps de réfugiés à la Bekaa, sur une période de trois mois.

Après avoir introduit l’état du conflit syrien et de l’impact que cela a pour le Liban, ainsi qu’une courte définition du terme “réfugié”, le mémoire se divise en quatre parties. La méthodologie est tout d’abord abordée, suivie par un état de l’art, puis une description des données récoltées, pour terminer par l’analyse de ces données.

La section méthodologique décrit d’abord l’élaboration de la question de recherche, ainsi que la récolte des données et l’importance de la démarche qualitative. Ensuite, la méthodologie met l’accent sur la réflexivité du chercheur. Partager les témoignages de réfugiés syriens a parfois été difficile d’un point de vue personnel ; c’est pourquoi les réflexions autour de la place du chercheur sont une partie essentielle du travail. Il est primordial d’expliciter les gaffes, les malaises et les choix personnels des questions dans cette partie méthodologique. Un autre aspect à noter est la collectivité des entretiens, qui démontre une grande importance des relations sociales pour les Syriens.

La partie de l’état de l’art rend compte des précédentes recherches académiques. Il a été difficile de se baser sur des recherches similaires : il n’existe aujourd’hui que très peu de recherches sur le cas de réfugiés qui vivent dans des pays limitrophes à leur pays d’origine. La plupart des travaux portant sur l’immigration et la religion concerne des pays occidentaux. Pourtant, l’immense majorité d’individus forcés à fuir leur pays est déplacée à l’intérieur du même pays, ou dans des pays limitrophes. Ce mémoire sur les Syriens qui vivent aujourd’hui au Liban permet donc de développer un aspect encore trop peu étudié en sciences sociales et en sciences des religions.

Sur la base des lectures, trois axes principaux ont été choisis pour permettre ensuite de nourrir l’analyse de cette recherche. Le premier est l’analyse de l’espace. Les articles de Michel Agier et de Löw permettent de définir l’espace en tant que structure sociale. L’espace est donc significatif et il est important de l’analyser également. Cela permettra de répondre aux questions suivantes : selon quelles logiques les camps de réfugiés sont-ils construits et qu’est-ce que l’espace et les lieux peuvent nous révéler sur les relations sociales. Le deuxième axe théorique concerne l’évolution de la religiosité. Plusieurs différentes approches sont développées, selon qu’il s’agisse d’un renforcement de la religiosité chez les réfugiés, ou d’une diminution. Finalement, la définition de la religion est abordée. Après avoir présenté plusieurs aspects de la religion, c’est la définition de Durkheim qui est mise en avant et qui permet de clore la section de l’état de l’art.

Dans la partie suivante, le terrain est décrit en détails. Beyrouth, la Bekaa et la situation complexe du Liban contextualisent le terrain. L’histoire de la Syrie, l’origine des Syriens, ainsi que leur situation au Liban sont également évoquées. Les témoignages de guerre et de Daech sont aussi détaillés. Plusieurs cartes géographiques et données cartographiées du UNHCR créent une contextualisation précise, qui permet d’expliciter les similitudes et les différences entre les Syriens qui vivent à Beyrouth ou à la Bekaa, ce qui nourrira ensuite l’analyse.

L’analyse reprend la méthodologie, l’état de l’art, ainsi que la description du terrain. Tout d’abord, alors que la plupart des chercheurs qui analysent l’espace en tant que structure sociale remarquent un investissement de l’espace, il a été intéressant de noter que dans le cas des réfugiés qui vivent dans des camps, il y a un évident non-investissement de l’espace. Cela traduit la dimension transitoire selon laquelle vivent les réfugiés.

Ensuite, la question de l’évolution de la religiosité est analysée. Contrairement aux attentes de la chercheuse et contrairement aux autres travaux sociologiques, il n’y a pas seulement une diminution ou une augmentation possibles, mais il y a une troisième dimension à prendre en compte : la stabilité de la religiosité. En outre, ces trois schèmes peuvent être complémentaires. Après avoir analysé les données, il a en effet été possible de remarquer que certains Syriens montraient des signes de diminution et d’augmentation, voire même de stabilité. Ces différents changements concernent en fait des dimensions différentes de la religiosité : la diminution a rapport à des aspects pratiques et sociaux, tandis que l’augmentation, en général, touche les aspects plutôt psychologiques.

L’aspect de religiosité le plus présent dans le discours des Syriens est la caractéristique sociale. Leur islam est un islam vécu et holistique, où les relations sociales, la communauté, le rassemblement autour de repas, de l’Aïd ou du Ramadan, sont essentiels à leurs yeux. La perte de cette dimension sociale, due à leur isolation au Liban, est donc difficile à supporter, bien plus encore que leur pauvreté. D’autres aspects, par contre, n’évoluent pas : c’est le cas de leur foi, qui n’est que très rarement remise en question, ou encore de la prière.

Cette partie d’analyse se termine par un retour sur la définition de la religion, enrichi par les analyses précédentes. Les différents résultats de la recherche permettent de confirmer la définition de Durkheim, qui met également en avant la caractéristique sociale de la religion.

UNIFR, 2018

VIRGINIE PACHE