DécèsPublié le 03.11.2025
Décès de Simone de Reyff
Le Département de Français de l’Université de Fribourg déplore la disparition de Simone de Reyff, décédée accidentellement le 4 septembre 2025.
Durant près d’un demi-siècle, de ses débuts en tant qu’assistante à la fin des années 1970 à son départ à la retraite en 2012 avec le titre de professeur titulaire, de sa thèse de doctorat soutenue en 1977[1] à son intervention lors du congrès de la SITM[2] le 20 juillet dernier, Simone de Reyff aura profondément marqué collègues et étudiants, et largement contribué à la réputation scientifique de l’établissement qu’elle a fréquenté de ses premiers pas d’étudiante au plein épanouissement de son activité d’enseignante-chercheuse chevronnée.
Son attirance naturelle pour le Moyen Age finissant et pour la « première Renaissance » l’avait amenée, dès ses recherches doctorales, à ouvrir un horizon nouveau au sein des études consacrées à Marguerite de Navarre, en éditant et commentant Les Prisons[3]. Elle creusera ce sillon tout au long de sa carrière, d’abord en procurant, dans la foulée, une savante version de poche de L’Heptaméron[4], puis en contribuant de manière substantielle à l’édition des Œuvres complètes parue chez Champion[5]. Mais rapidement son domaine de recherche s’est étendu : un vaste chantier consacré à la figure de la Madeleine au XVIIe siècle, une édition d’une farce du XVe siècle chez Droz[6], un ouvrage de synthèse sur L’Eglise et le théâtre[7], un projet FNS consacré à la tragédie hagiographique du XVIIe siècle[8], des éditions en nombre toujours plus grand, dans une spirale ascendante, jusqu’à une réalisation en ligne (Le Parnasse réformé de Guéret[9]) et une version bilingue de la Maria Stuart (1683) de Haugwitz[10].
Simone de Reyff affichait une prédilection pour l’édition savante, dans laquelle elle reconnaissait la pierre de touche de la relation critique : le geste irréductible de la confrontation au détail du texte, dans ses minuties et ses chausse-trappes, la sollicitation impitoyable de la lettre, à laquelle il s’agit de répondre sans faux-fuyants, dans une lutte pied à pied, l’articulation avec les enjeux généraux du texte, les allers-retours équilibristes entre niveaux macro- et micro- ... Il est vrai que Simone de Reyff pouvait mobiliser des ressources impressionnantes : sa connaissance encyclopédique du corpus seiziémiste, sa maîtrise confondante de l’intertexte biblique, mais également ses méthodes de recherche qui l’amenaient à recourir en virtuose aux outils tant anciens (bibliographies imprimées) et que nouveaux (moteurs de recherche et bases de données). Chaque entreprise commençait par l’établissement d’une information scrupuleuse, prenant en compte les contributions d’horizons diversifiés, y compris en langues étrangères. Simone se faisait un point d’honneur de rassembler le savoir accumulé, y compris à cette époque pas si lointaine où la connaissance précise de l’objet d’étude et de son environnement était disqualifiée sous le terme d’érudition.
La faveur qu’elle accordait à l’aspect concret des choses l’avait conduite progressivement à l’histoire du livre et, en particulier, à ce volet essentiel que constitue l’étude des bibliothèques. Les recherches qu’elle avait menées avec Thomas Hunkeler sur le fonds Castella[11] avaient valu l’intérêt de Robert Darnton, qui s’était déplacé à Fribourg. Celles consacrées à la Bibliothèque des Capucins de Fribourg avaient donné lieu à une exposition et une publication très remarquées[12]. Le même goût prononcé pour le document et sa transmission l’avait amenée également à s’intéresser aux manuscrits : elle procurera l’édition des papiers de la sculptrice et autrice Marcello[13] (dans le prolongement d’un projet dirigé par Michel Viegnes) et des lettres du patricien François-Pierre de Reynold[14]. Cette incursion sur le terrain de l’histoire n’est pas surprenante pour une chercheuse qui n’hésitait pas à mener ses enquêtes, dans une perspective résolument interdisciplinaire, en étroite symbiose avec historiens, théologiens[15], italianistes, germanistes, anglicistes. Il est vrai que Simone avait la collaboration facile : Nicole Cazauran, Jean Lecointe, Julien Goeury, Christian Belin, Christophe Schuwey, Loris Petris, André Gendre, Richard Hillman, Rosmarie Zeller, et tant d’autres peuvent en témoigner.
Mais c’est surtout dans le domaine de l’enseignement que la contribution de Simone de Reyff aura été décisive. Plusieurs générations d’étudiantes et d’étudiants ont bénéficié de cours et séminaires toujours méticuleusement préparés, et qui portaient haut le verbe magistral. Par ses qualités oratoires et communicationnelles, par l’étendue d’un savoir continuellement à portée de partage, par son engagement et son humour à fleur de propos, « Madame de Reyff » exerçait une incontestable séduction et suscitait les vocations. A divers degrés, la rencontre et la confrontation avec cette figure du Département de Français aura joué un rôle essentiel dans le parcours des nombreux chercheurs que l’« école de Fribourg » a produits depuis un bon quart de siècle : Philippe Geinoz, Jean Rime, Nina Mueggler, Claude Bourqui, Fabien Dubosson, Christophe Schuwey, Aurelia Maillard, Sophie Jaussi. Mais Simone de Reyff avait également marqué la nouvelle génération de celles et ceux qui n’ont pas connu son enseignement, mais qui ont eu l’occasion de faire sa rencontre sur le terrain de leurs recherches. Sandy Maillard, Anouk Delpedro, Klara Bourban, Agathe Herold, Arnaud Wydler, Matthieu Corpataux ont bénéficié de conseils et de soutiens généreux. Il est vrai que Simone restait très présente au cœur et dans les marges de la vie universitaire : production inlassable, contributions ponctuelles à l’enseignement[16], présidence de l’association des Amis de la BCU, engagement au sein des Presses Littéraires de Fribourg et du festival « Textures ».
Pour le Département de Français, la perte est immense. Durant de longues années, auprès des étudiant-e-s comme auprès de nombreux collègues internes et externes, Simone de Reyff aura représenté une référence majeure et un pilier inébranlable des études littéraires à Fribourg. Son action de fond ferme et continue, son engagement sans faille dans les moments difficiles, son inlassable activité de pédagogue, de mentor et d’organisatrice, en un mot son œuvre, auront établi les fondations sur lesquelles se sont élevées les réussites actuelles.
Prof. Claude Bourqui
Au nom du corps enseignant du Département de Français
[1] Sous la direction d’Yves Giraud.
[2] Société Internationale d’étude du Théâtre Médiéval. Conférence-performance donnée avec Richard Hillman et Claude Bourqui sous le titre “The Evolving Story of the Actor-Martyr St Genet”
[3] Droz, 1978 (version publiée de la thèse de doctorat)
[4] GF-Flammarion, 1982
[5] T. III (2001) ; t. V (2012) (avec A. Gendre et L. Petris) ; t. XI (2023) (avec J. Lecointe).
[6] La Farce de Jeannot dans le sac (1990) (avec M.-C. Gérard-Zai).
[7] Cerf, 1998.
[8] Principales retombées, les éditions des Tragédies hagiographiques de Desfontaines (STFM, 2004) et de Polyeucte de Corneille (Le Livre de Poche, 2004) (avec Cl. Bourqui)
[9] Avec Ch. Schuwey et Cl. Bourqui.
[10] Avec Rosmarie Zeller. Edition destinée à la collection « Scènes Européennes » des Presses Universitaires François Rabelais.
[11] Fonds de bibliothèque d’un noble fribourgeois d’Ancien Régime, conservé dans un état presque intact. L’enquête avait donné lieu à un collectif paru sous le titre Usages du livre à la fin de l’Ancien Régime. Autour de la Bibliothèque Castella, In Folio, 2015.
[12] Catalogue publié sous le titre Territoires de la mémoire / Räume des Wissens (PLF, 2021).
[13] D’Adèle à Marcello. Fragments autobiographiques (1876-1879), Archives de l’Etat de Fribourg (coll. Bibliotheca Otolandana, vol. 3), 2022.
[14] « Auprès de mon écritoire » Le Copie-lettres (1732-1754) de François Pierre de Reynold, In Folio, 2018 (avec R. Binz, A. Dafflon et W. Haas).
[15] Parmi les nombreux travaux réalisés en commun avec le Père Guy Bedouelle o.p., citons l’édition du Mistere de l'Institucion de l'Ordre des Freres Prescheurs, parue chez Droz en 1998.
[16] Ainsi l’exposition « Territoires de la mémoire » avait vu le jour dans le cadre d’un séminaire de master donné en 2020. Les étudiant-e-s ont contribué à la mise sur pied de l’événement et à la publication qui en a résulté.
