La prose européenne de la première moitié du XX^e siècle est en grande partie une littérature de crise : la distance – notamment la distance linguistique – du sujet humain face à environnement perçu comme inhumain et extralinguistique; le fossé épistémique entre le moi et le monde qui semble échapper à toute tentative de le comprendre; l'instabilité de toutes nos interprétations du monde et de nos constructions de la « réalité », mais aussi la fragilité de notre propre personnalité; l'impuissance de l'individu face au cauchemar des visions dystopiques (et des systèmes politiques réels); son égarement/errerement dans des hiérarchies impénétrables, sa solitude dans la masse anonyme; enfin, sa confrontation avec ce qui veut le détruire : maladie, guerre et mort, sa lutte, sa révolte, sa chute ... Ce sont des expériences existentielles, en soi intemporelles comme celles-ci qui exhortent l'urgence d'une nouvelle expression littéraire. Si l'on résume en un mot ces expériences, telles qu'elles ont été formulées dans les œuvres clés de cette époque, aucun terme ne conviendrait mieux que celui de « l'étrangeté » (Albert Camus) : l'étrangeté du monde, plus précisément l'aliénation de l'homme face à un monde qui a cessé d'être son monde - un monde qui nous « échappe », comme dit Camus. Et si l'on voulait condenser ces expériences en une seule question, ce serait celle de Rilke à propos de son roman : « Wie ist es möglich zu leben, wenn doch die Elemente dieses Lebens uns völlig unfaßlich sind? ».

Certes, ces expériences existentielles ne gagnent en acuité que devant le contexte intellectuel et historique de l’époque, également pris en compte dans le séminaire : crises du langage et de la connaissance de la modernité classique (Nietzsche, Hofmannsthal, etc.), critique de l'explication métaphysique du monde et du concept de sujet unifié (Nietzsche) et, surtout, contexte des catastrophes humanitaires des deux guerres mondiales, qui ont plongé le monde dans le chaos.

Les problèmes décrits seront abordés lors du séminaire sur la base des romans et récits ci-après. Nous verrons que certains d’entre eux, tels que Nineteen Eighty-Four d’Orwell, sont – dans une certaine mesure malheureusement – toujours de grande actualité. Compte tenu du volume des œuvres, il est recommandé d’en entreprendre la lecture à temps. (Le plan de semestre présenté lors de la première session suit la chronologie des œuvres).

Le séminaire correspond à 3 crédits ECTS. La condition requise, en plus d’une participation régulière et active, est la présentation d’un exposé. 6 crédits ETCS supplémentaires peuvent être obtenus après le séminaire pour le rendu d’un travail de séminaire lié au thème.

Franz Kafka: Beschreibung eines Kampfes (version A) (1904/06), Rainer Maria Rilke: Die Aufzeichnungen des Malte Laurids Brigge (1910) (extraits), Franz Kafka: Das Schloss (1922), Jean-Paul Sartre: La nausée (1938), Albert Camus: La peste (1947), George Orwell: Nineteen Eighty-Four (1949)