La désobéissance civile comme cas d’école

La désobéissance civile comme cas d’école

Le workshop du programme Quali+ a réuni des étudiant·e·s en droit, en économie, en durabilité et en philosophie pour débattre de la désobéissance civile comme réponse à l’urgence climatique. En trame de fond: le procès des activistes lausannois qui ont mimé une partie de tennis dans les locaux d’une grande banque.

L’urgence climatique, comme la plupart des questions de société, n’est pas l’apanage d’une seule discipline. Le workshop qui a récemment ponctué le programme Quali+ (lire encadré ci-dessous) ne s’y est pas trompé. En s’intéressant au procès des activistes du climat qui avaient singé une partie de tennis dans les locaux lausannois d’une grande banque et aux décisions juridiques qui ont suivi, l’atelier a passionné tant les professeurs chargés de présenter les problématiques que les étudiant·e·s assis·e·s dans l’aula.

Puisqu’il s’agissait d’un procès, les juristes ont posé le décor: Michel Heinzmann, professeur à la Faculté de droit, a rappelé les faits, les différentes procédures qui ont suivi et les droits évoqués dans le cadre de ces procédures.

L’état de nécessité, argument brandi par les activistes pour justifier leurs actes, a notamment fait l’objet d’un jugement différent en fonction des instances. Le juge de police a reconnu cet état et l’imminence du danger, tout comme le Tribunal cantonal, alors que le Tribunal fédéral a considéré cet argument comme non recevable: «Le juge a estimé que, concrètement, au moment de l’acte concerné, les protagonistes ne risquaient rien de manière imminente», a relevé le Prof. Michel Heinzmann.

Danger imminent
Alors qu’il a ouvert la discussion et encouragé les étudiant·e·s à poser des questions sur ces aspects juridiques, c’est le professeur de philosophie moderne et contemporaine Gianfranco Soldati qui a fait entendre sa voix: «Il n’a encore pas été question de l’intérêt prépondérant dans cette discussion. On s’attarde sur l’imminence ou non du danger, alors qu’il en va de la fin du monde!»

Et de se voir répondre que, selon la méthodologie du droit, on s’arrête sur le premier point discordant: «Si une condition fait défaut, alors on ne va pas s’intéresser aux autres éléments», explique Michel Heinzmann.

«Mais, s’il existe un intérêt prépondérant, est-ce qu’il ne devrait pas primer sur les autres conditions?» rétorque un étudiant. «Justement pas, on ne peut pas écarter certaines conditions sous prétexte qu’un élément serait prépondérant», répond le professeur. Même si elle semble imparfaite, la justice a été construite avec une volonté d’éviter les dérives qui permettraient de faire passer les intérêts des uns avant ceux des autres.

Activistes dans la contradiction
La deuxième intervention de ce workshop s’est également attardée sur la notion d’état d’urgence. Lecteur à la chaire de droit pénal, l’avocat Louis Frédéric Muskens a expliqué en quoi, selon lui, cette revendication des activistes lui semble contradictoire: «D’un côté, ils brandissent la désobéissance civile comme levier de résistance et, de l’autre, ils engagent une procédure pour qu’on reconnaisse leur acte comme licite, en évoquant l’état d’urgence.»

Au-delà de ce constat, l’avocat évoque en quoi la reconnaissance de l’urgence climatique comme un état de nécessité représenterait un danger. «L’urgence climatique ne pouvant être résolue de manière instantanée, nous entrerions dans un état de nécessité permanent qui autoriserait la transgression par n’importe quel acte répondant du droit pénal. Cela reviendrait à rayer le droit pénal suisse en un seul arrêt.»

Louis Frédéric Muskens n’imagine pas qu’un juriste ait pu prendre une décision comme celle prise par le juge de première instance sans anticiper la «publicité» que cette décision allait faire à cette affaire et à la cause défendue par les protagonistes.

La discussion s’ouvre alors sur une troisième thématique, celle de la marge de manœuvre des juges dans l’application des lois. «Il y a les lois, la façon dont on les applique et ceux qui sont chargés de les faire appliquer», relève le Prof. Gianfranco Soldati. C’est dans les motivations des juges que les philosophes voient un intérêt.

Erreur juridique ou appréciation
«Qu’est-ce qui explique que, sur une même affaire, trois instances juridiques distinctes aient trois avis différents? s’interroge Andrea Schlatter, doctorante en philosophie du droit. Est-ce qu’on est face à une erreur juridique? Ou est-ce que les convictions et les émotions du juge vont le mener à prendre de la distance?»

Les différent·e·s intervenant·e·s étaient d’accord sur un aspect: l’application d’une loi n’est pas quelque chose d’automatique, mais passe par une interprétation. «Un juge doit parfois avoir l’audace de se départir des jurisprudences existantes; sans cela, le droit ne peut pas évoluer, affirme Michel Heinzmann. Les droits des femmes sont un exemple de ce type d’évolution où des juges ont estimé que les lois, et surtout l’interprétation qu’on en avait faite, n’étaient plus en adéquation avec les réalités de la société. Leurs décisions ont entraîné des changements législatifs.»

Quant à la question de savoir si l’état de nécessité était le bon moyen d’empoigner le problème climatique, elle n’aura pas trouvé de réponse durant ce workshop. Ni même durant l’apéritif qui a suivi cette séance, réunissant l’ensemble des participant·e·s. Et Michel Heinzmann de conclure: «Mais le fait qu’on en débatte ce soir et que les médias aient autant couvert cette affaire laisse à penser qu’on peut parler d’une réussite pour les activistes…»

Elargir l’horizon de ses connaissances
L’Université de Fribourg s’engage non seulement à offrir à ses étudiant·e·s une formation scientifique d’excellence, mais aspire également à les soutenir dans leur développement personnel. Grâce au programme facultatif Quali+, elle encourage les universitaires à explorer des compétences au-delà de leur propre discipline.

Quali+ est un programme facultatif proposé par l’Université de Fribourg qui offre aux étudiant·e·s la possibilité d’acquérir des connaissances et des compétences dans un autre domaine que celui de leurs études habituelles.

Les étudiant·e·s motivé·e·s et ambitieux·euses peuvent ainsi élargir leur horizon en acquérant des connaissances et des compétences à travers un cours spécifiquement conçu pour elle et eux dans les domaines suivants: philosophie, droit, économie et durabilité.

L’intégralité des cours du programme Quali+ est spécialement conçue dans ce cadre. Il s’adresse à des personnes sans connaissances préalables dans la discipline choisie. Grâce à cette formation, les diplômé·e·s de l’Université de Fribourg pourront devenir des interlocuteur·trice·s privilégié·e·s lors de discussion avec des spécialistes de la branche qu’ils ont abordée à travers Quali+.

Une fois par année, un workshop interdisciplinaire est organisé autour d’un thème commun, choisi conjointement par les responsables des différentes disciplines Quali+; un exercice stimulant pour la pensée et pour le raisonnement ponctué par un moment convivial qui se déroule en principe au mois de mai.

Author

Sophie Roulin a d’abord exercé sa plume dans les rubriques régionale et magazine du journal La Gruyère, avant de reprendre sa liberté et de devenir indépendante. Ce choix lui permet d’élargir encore son horizon professionnel et de remettre davantage de sciences dans les thématiques abordées. Avant de se tourner vers le journalisme, elle a étudié les géosciences à l’Université de Fribourg.

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