Le Collectif d’Anthropologie et d’Histoire du Spirituel et des Affects (CAHSA), en collaboration avec l’Institut fribourgeois pour l’étude de la Renaissance et de l’époque moderne, sollicite des propositions pour un colloque interdisciplinaire sur le thème «Religion et plaisir (XVI-XVIIIe siècles)». Le colloque se tiendra du 11 au 13 décembre 2025 à l’Université de Fribourg (Suisse).
La peur, la culpabilité, l'ascétisme, la retraite, l’anéantissement, le sacrifice apparaissent souvent comme les lieux communs de l’expérience religieuse à l’époque moderne, étroitement associée à la « haine de la chair » pour reprendre l’expression de J. Delumeau (Delumeau; 1983). Les plaisirs du corps, encadrés, combattus, parfois interdits, entrent en effet dans une «ère du soupçon», volontiers accusés de faire obstacle à la vérité et au salut.
A observer de plus près les traces de la culture chrétienne du XVIe au XVIIIe siècles, conservées dans les textes, mais aussi dans les objets, l’architecture, l’iconographie ou encore dans la musique, on constate néanmoins que la religion entretient un rapport plus complexe et nuancé avec le plaisir. La relecture des Pères de l’Église, et de saint Augustin notamment, amène ecclésiastiques, théologiens, mais aussi mondains et mondaines de l’époque moderne, à repenser le plaisir sous l’angle de son ambiguïté. Irréductible à sa seule signification négative, qui en ferait un pur signe de concupiscence, le plaisir est perçu a minima comme un auxiliaire utile pour toucher les cœurs et conduire les chrétiens à se tourner vers des plaisirs plus grands et plus véritables. Il est parfois même considéré, par des penseurs aussi différents que Lorenzo Valla, Marsile Ficin, Érasme, Gassendi, Angelus Silesius ou Pascal, comme un « moteur » de l’expérience spirituelle, individuelle ou collective, expérience qui s’exprime aussi bien dans les visions extatiques – dont l’expression repose parfois sur un lexique de la volupté qui joue avec celui de l’érotisme – que dans la douceur des amitiés spirituelles ou, dans le cadre de la liturgie, dans l’attente de l’eucharistie, la prière collective, l’écoute d’un sermon, etc. Le plaisir, qui oscille entre l’impression esthétique et la sensation proprement physique, parfois violente, peut être ainsi considéré comme une partie intégrante de l’expression et de l’expérience du religieux, jusqu’à devenir une caractéristique intrinsèque, et majeure, de la grâce divine, pensée et exprimée dans des termes tels que “douceur, délectation, délices, ravissement, joie, volupté céleste, flamme” (Sellier; 1995 [1970]).
Toutefois, l’ambiguïté du plaisir – à la fois chemin vers le divin et source de la tentation – en fait une entité suspecte pour de nombreux courants spirituels. L’exemple de la Réforme est emblématique, qui rompt avec l’esthétique ostentatoire du catholicisme au nom d’un retour à une foi intérieure et épurée de tout excès sensoriel, l’image et la musique étant alors soupçonnées d’entretenir l'idolâtrie davantage que la foi des fidèles. La religion agit en outre de l’extérieur contre les formes déviantes du plaisir : du côté catholique comme du côté protestant, les plaisirs du monde – jeu, danse, promenade et théâtre surtout – font l’objet d’un nombre croissant de réquisitoires (Thirouin ; 2007; Diekmann et Wild, 2011), lesquels non seulement révèlent l’importance de la question du plaisir dans la religion au regard des débats qu’elle suscite durant toute l’époque moderne, mais rappellent par ailleurs le statut complexe, à certains égards problématique et ambivalent du plaisir sur un plan éthique ou moral (Religion and the Senses in Early Modern Europe ; 2012). Voie d’accès à la connaissance divine, le plaisir est, à l’inverse, source de corruption lorsqu’il est centré sur des objets terrestres et renforce l’attachement de la créature au monde. Ces tensions soulignent ainsi les multiples modalités de régulation du plaisir dans les pratiques religieuses, oscillant entre valorisation mystique et rejet moral, entre extase divine et rigueur ascétique. Elles illustrent en outre les divergences et les lignes de fracture confessionnelles pour ce qui concerne la place du corps, des sens et de l’imaginaire dans l’expérience religieuse.
Dans le cadre de sa prochaine édition en présentiel, le colloque du CAHSA voudrait proposer une réflexion sur les rapports complexes qui unissent plaisir et religion à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles). À cet effet, le comité organisateur sollicite des propositions de communications qui pourront porter aussi bien sur le discours théologique ou philosophique consacré à l’interaction – volontiers ambiguë voire polémique – de la culture religieuse et du plaisir, que sur les représentations de cette interaction rencontrées dans la littérature ou les beaux-arts de cette période. Les problématiques à explorer pour l’époque considérée pourront aborder, de manière non limitative, les pistes suivantes :
● Définition et théorie du plaisir spirituel dans les doctrines théologiques (par exemple, la délectation victorieuse à Port-Royal ou le “panhédonisme” que Jacques Le Brun repère chez Bossuet)
● Opposition ou complémentarité entre plaisir spirituel et plaisir charnel (dans le contexte de la mystique chrétienne notamment, mais pas seulement)
● Articulation, dans le discours religieux, du plaisir et de la douleur
● Affect à combattre ou à favoriser ? Les rôles et fonctions du plaisir dans l’édification morale
● Le plaisir « contre » la religion (cf. certains courants philosophiques comme le matérialisme ou l’épicurisme)
● Les voies du plaisir spirituel : utilisation et rendement des figures de rhétorique, de certains motifs picturaux ou musicaux
● Lexique et notions saisis dans une perspective synchronique ou diachronique : délectation, concupiscence, douceur, suavité, satisfaction
● Expression du plaisir et grammaire des affects (en français, mais aussi dans d’autres langues ; cf. l’importance du néologisme chez les mystiques, chez les piétistes allemands)
● Le plaisir religieux peut-il être traduit ? Comment transposer la grammaire des affects dans une autre langue ?
● Le plaisir dans les actes de dévotion (liturgie, prière, processions, cérémonies, etc.) à travers ses représentations dans le discours d’époque.
● Approches confessionnelles du plaisir (particularités, différences entre catholicisme et protestantisme, mais aussi et plus largement entre le christianisme et d’autres religions)
Les propositions d’environ 350-500 mots devront être accompagnées d’un CV actualisé. Ces documents sont à envoyer avant le 11 juillet 2025 aux adresses ci-dessous. Ils peuvent être rédigés en anglais ou en français.
Groupe CAHSA : groupecahsa@gmail.com">groupecahsa@gmail.com
Arnaud Wydler (Université de Fribourg) : arnaud.wydler@unifr.ch">arnaud.wydler@unifr.ch
Joy Palacios (University of Calgary) : joy.palacios@ucalgary.ca">joy.palacios@ucalgary.ca
Les candidat-e-s recevront une réponse de la part des organisateurs-trices avant le 15 septembre 2025. Pour les participant-e-s, les frais d’inscription au colloque s’élèveront respectivement à 50 CHF ($80 CAD) pour les professeur-e-s et maîtres de conférences et à 15 CHF ($25 CAD) pour les doctorant-e-s, ATER et chercheurs-euses indépendant-e-s.
Comité d’organisation :
Arnaud Wydler, Université de Fribourg
Anne Régent-Susini, Université Sorbonne Nouvelle
Corinne Bayerl, Université d’Oregon
Joy Palacios, University of Calgary
Quand? | 11.12.2025 08:00 - 13.12.2025 17:00 |
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Où? | MIS 03 Avenue de l'Europe 20, 1700 Fribourg |
Contact | Collectif d’Anthropologie et d’Histoire du Spirituel et des Affects (CAHSA) Dr. Arnaud Wydler arnaud.wydler@unifr.ch Av. de Beauregard 13 1700 Fribourg |