12.04.2010

Du filament à la fibre


Les scientifiques de l’EPFL Lausanne, de l'ETHZ Zurich et de l’Université de Fribourg ont travaillé de concert pour mettre en évidence les mécanismes généraux qui guident l’assemblage des protéines et forment des structures appelées fibres amyloïdes. En combinant expériences et théorie, ils ont pu expliquer comment des protéines du sérum du lait, après dénaturation à haute température, forment des rubans torsadés comportant jusqu'à cinq filaments. Cette recherche jette une lumière nouvelle sur l’auto-assemblage de ce type de protéines.



Les images à l'écran, issues d'un microscope à force atomique, montrent des filaments en forme de longs bâtonnets blancs et flexibles d’une épaisseur de quelques nanomètres et d’une longueur de plusieurs micromètres, couvrant et traversant la surface où ils ont été déposés. La caractéristique principale de ces fibres est leur structure en ruban torsadé.



Les scientifiques des deux écoles fédérales et de l’Université de Fribourg se sont penchés sur les images des fibres fournies par leur microscope à force atomique et les ont étudiées du point de vue de la physique des polymères. Leurs expertises complémentaires ont permis de formuler des principes de base régissant l’assemblage des filaments protéiques en fibre plus épaisse adoptant cette forme de ruban torsadé. Leurs résultats viennent d’être publiés dans le numéro actuel de la revue «Nature Nanotechnology».

«Le modèle que nous proposons permet des prédictions très précises», explique Raffaele Mezzenga, professeur en sciences alimentaires et de la matière molle à l’ETHZ Zurich. «Un modèle aussi précis et général de la formation des fibres amyloïdes n'avait jusqu'à présent pas encore été formulé», poursuit Giovanni Dietler, professeur de physique de la matière vivante, à l’EPFL de Lausanne.

Les chercheurs ont été très surpris par la structure des fibres amyloïdes. Les protéines, qui à l’origine sont sphériques, s’assemblent pour former des filaments, lesquels s’unissent à leur tour pour former des rubans torsadés. Le Prof. Mezzenga explique que la structure en ruban est une conséquence logique de la forte charge électrique présente sur les protéines, qui engendre une forte répulsion mutuelle. Cette répulsion est affaiblie si les protéines s’unissent en forme de ruban au lieu de former un paquet compact. Face à cette répulsion, une force attractive compensatoire à très court rayon d’action doit être postulée. Les scientifiques s'accordent à dire que cette force attractive trouverait son origine dans des domaines non chargés des protéines. Ces domaines ont un caractère hydrophobe, c’est à dire qui n’aime pas l’eau. L’équilibre entre ces deux forces, attractive et répulsive, donne lieu à la structure en ruban torsadé observée dans les expériences présentées ici.

L’auto-organisation des protéines est monnaie courante dans la matière vivante et apparaît dans divers phénomènes comme la coagulation du sang. Les protéines, souvent de forme sphérique, sont utilisées dans l’industrie alimentaire comme émulsifiants, gélifiants ou agents moussants et peuvent in vitro former des fibres amyloïdes. Ces fibres ont des propriétés élastiques ou de solubilité qui les rendent intéressantes pour la texture des aliments ou pour former des structures spéciales. La protéine beta-lactoglobuline du lait, étudiée par Mezzenga et ses collègues, est au départ une protéine sphérique qui, à la suite d’un traitement thermique dans un environnement acide, se transforme en filaments. Cette protéine est très étudiée car elle constitue un élément important du sérum du lait, et s’avère donc crucial pour l’industrie alimentaire.

Il est à espérer que les connaissances acquises par les scientifiques pourront être utiles dans la lutte contre certaines maladies. En effet, des fibres amyloïdes se forment chez les humains touchés par des affections neurodégénératives et sont considérées comme étant à l’origine de maladies du type Alzheimer ou Creutzfeldt-Jakob. Ces fibres d'origine humaine, formées par des protéines complètement différentes de celles du lait, ont aussi une structure en ruban torsadé mais le mécanisme de leur formation est toutefois encore mal compris. Le modèle proposé par l’équipe de scientifiques suisses pourrait aider à comprendre la genèse et le développement de ces maladies.


Référence :
Adamcik J, Jung J-M, Flakowski J, De Los Rios P, Dietler G, Mezzenga R.
Understanding Amyloid Aggregation by Statistical Analysis of Atomic Force Microscopy Images. Nature nanotechnology. 2010, online publication http://dx.doi.org/10.1038/NNANO.2010.59

Contact : Jin-Mi Jung, Département de physique et Fribourg Center for Nanomaterials, Université de Fribourg, 021 785 80 20, jin-mi.jung@unifr.ch

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