08.01.2015

Grâce à votre smartphone, vos pouces ont des superpouvoirs!


L’interaction avec nos téléphones intelligents au moyen d’un écran tactile modifie la manière dont le pouce et le cerveau travaillent ensemble. Une récente étude, menée à l’Université de Fribourg en collaboration avec l’Université et l’Ecole polytechnique fédérale de Zürich, publiée dans le dernier numéro de Current Biology, montre qu’une utilisation plus marquée de l’écran tactile d’un smartphone, dans un passé récent, conduit directement à une augmentation de l’activité cérébrale lorsque les extrémités (phalanges distales) du pouce et d’autres doigts sont stimulées tactilement (sens du toucher).



Les auteurs de cette étude (Gindrat, Chytiris, Balerna, Rouiller et Ghosh) ont d’abord été surpris par l’ampleur des changements d’activité cérébrale provoqués par l’utilisation des téléphones intelligents. Qui plus est, les variations inter-individuelles, observées dans les signaux cérébraux associés aux extrémités des doigts, ont pu être expliquées directement au moyen des activités conduites sur le téléphone intelligent, stockées dans le «smartphone log», sorte d’historique digital contenu dans le téléphone grâce auquel l’activité de l’utilisateur est reflétée par l’archive de l’utilisation de la batterie du téléphone).

Les auteurs de cette étude ont réalisé que les nouvelles habitudes de multitâches sur les téléphones intelligents offrent une occasion fantastique d’explorer la plasticité du cerveau humain au quotidien. D’abord parce que les gens utilisent l’extrémité de leurs doigts, principalement le pouce, d’une manière nouvelle, certains d’entre eux même de manière très soutenue, plusieurs heures quotidiennement, mais aussi parce que les téléphones intelligents gardent des traces de l’historique des activités, ce qui constitue une source d’information pertinente pour l’étude de ces nouveaux comportements.

Alors que, par le passé, les neuroscientifiques ont étudié en détail la plasticité cérébrale chez des sujets experts, tels que les sportifs d’élite, les musiciens ou les utilisateurs de jeux vidéo, les téléphones intelligents offrent la possibilité de comprendre comment la vie de tous les jours façonne l’activité cérébrale chez le commun des mortels. Il s’agit dans un premier temps de définir ce que sont ces appareils et avec quelle assiduité les gens les utilisent. Pour les neuroscientifiques à l’origine de cette étude, l’historique digital que nous portons dans notre poche véhicule, entre autres, une information très abondante quant à la manière dont nous utilisons l’extrémité de nos doigts.

Les auteurs de l’étude ont utilisé la méthode de l’électroencéphalographie (EEG) pour enregistrer l’activité du cerveau en réponse à des stimuli mécaniques de toucher (légère déformation de la peau) appliqués sur la phalange distale du pouce, de l’index et du majeur chez des sujets humains utilisant l’écran tactile de leur téléphone intelligent (de 1 à 3 heures par jour), ainsi que chez des sujets possédant un téléphone mobile d’ancienne génération, dépourvu d’écran tactile. Ils ont ainsi pu observer une augmentation des activités électriques du cerveau pour les 3 doigts stimulés tactilement chez les utilisateurs de téléphones intelligents. Il s’avère que l’amplitude de l’activité dans le cortex cérébral, associée à la stimulation du pouce et de l’index est directement proportionnelle à l’intensité de l’utilisation du téléphone intelligent, quantifiée par l’historique de l’utilisation de la batterie du téléphone. La réponse à la stimulation tactile de l’extrémité du pouce est, par ailleurs, sensible aux fluctuations quotidiennes de l’utilisation du téléphone intelligent: en effet, plus l’intervalle de temps compris entre le dernier épisode d’intense utilisation du téléphone et la mesure de l’activité cérébrale en réponse à la stimulation du pouce est court, plus l’activité corticale associée est grande.

Pour les chercheurs, ces résultats suggèrent que les mouvements répétitifs, opérés sur la surface lisse de nos écrans tactiles, réorganisent le traitement de l’information sensorielle à partir de la main, avec des mises à jour quotidiennes de la représentation corticale de l’extrémité des doigts en fonction de l’utilisation du téléphone intelligent.

Ces résultats conduisent à l’idée selon laquelle le traitement de l’information sensorielle par le cortex cérébral chez nos contemporains est continuellement influencé par l’utilisation des technologies digitales personnelles. L’impact de la technologie digitale sur le traitement cérébral de l’information, en fonction d’autres aspects de notre vie quotidienne, reste encore à explorer.

L’article «Use-Dependent Cortical Processing from Fingertips in Touchscreen Phone Users» est paru dans le numéro du 5 janvier 2015 de Current Biology (Cell Press) 25: pages 1-8. http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2014.11.026

Contact:
Professeur Eric Rouiller, Département de médecine, 026 300 86 09, eric.rouiller@unifr.ch
Anne-Dominique Gindrat, Département de médecine, 026 300 86 12, anne-dominique.gindrat@unifr.ch