Publié le 07.09.2021

Le mot du Doyen, Mariano Delgado - SA 2021/I


Une Église en sortie missionaire

Dans l'exhortation apostolique "Evangelii gaudium" (24.11.2013, EG), le pape François parle d'une Église en sortie et nous invite à retrouver la joie de l'évangélisation. Le fait qu'il ait été élu 266e évêque de Rome le 13.03.2013 au cinquième tour de scrutin avec une large majorité n'est pas sans rapport avec le "discours incendiaire" qu'il a prononcé le 9 mars dans l'une des congrégations cardinalices en préparation du conclave.

« Le texte biblique parle manifestement de celui qui frappe de l'extérieur pour entrer. Mais je pense aux moments où Jésus frappe de l'intérieur pour que nous le laissions sortir. L'église égocentrique revendique Jésus à l'intérieur et ne le laisse pas sortir. »

On y trouve déjà le programme de son pontificat in nuce. Bergoglio a rappelé les paroles de Jésus après la vision dans Ap 3,20 : "Je me tiens à la porte, et je frappe". Et de commenter : "Le texte biblique parle manifestement de lui qui frappe de l'extérieur pour entrer. Mais je pense aux moments où Jésus frappe de l'intérieur pour que nous le laissions sortir. L'église égocentrique revendique Jésus à l'intérieur et ne le laisse pas sortir." Il a ensuite esquissé le profil du nouveau pape : il doit être un homme "qui, à partir de la contemplation et de l'adoration de Jésus-Christ, aide l'Église à aller jusqu'aux confins existentiels de la terre, qui l'aide à être la mère féconde qui vit de la "joie douce et consolante de l'évangélisation"". Dans sa lettre du 25 mars 2013 aux participants de la 105e Assemblée plénière de la Conférence épiscopale argentine - et encore et encore depuis - François a fustigé la
" complaisance ", le " narcissisme spirituel ", la " spiritualité mondaine " et le " cléricalisme sophistiqué "
comme étant les maladies de l'Église qui nous empêchent d'expérimenter la " joie douce et consolante de l'évangélisation ".

Un nouveau style

Dès le début, François se préoccupe d'un nouveau "style" qui devrait être adopté "dans tout ce qui se fait" (EG 18). Il s'agit d'un style qui respecte le droit des fidèles à être écoutés d'abord et non à être sermonnés, car même les brebis ont un sens de la foi, ce qui rend la synodalité inévitable. Il s'agit d'un style qui perçoit le besoin des âmes et y répond, non pas par le droit canon, mais par la miséricorde. C'est le style pastoral de l'Église dans le monde d'aujourd'hui, déjà préconisé par Jean XXIII dans son discours d'ouverture du Concile le 11 octobre 1962, et c'est le style d'une Église samaritaine esquissé par Paul VI dans son discours à la session fermée du Concile le 8 décembre 1965.

François préfère "une Église ‘battue’, blessée et souillée parce qu'elle est sortie dans la rue, à une Église malade à cause de sa fermeture d'esprit et de son confort à s'accrocher à ses propres sécurités".

Conformément à son bref "discours incendiaire" lors du pré-conclave, François ne veut pas d'une Église préoccupée par elle-même, mais d'une Église qui a vraiment compris ce que le Concile a dit : Qu'elle est "signe et instrument de l'union la plus intime avec Dieu ainsi que de l'unité de toute l'humanité" (LG 1), qu'elle se considère comme "insérée dans la famille humaine...". (GS 3), et qu'elle considère donc "la joie et l'espérance, la douleur et l'angoisse des hommes d'aujourd'hui, en particulier des pauvres et des affligés de toutes sortes" comme "la joie et l'espérance, la douleur et l'angoisse des disciples du Christ" (GS 1) ; que, ce faisant, elle veut poursuivre "l'œuvre du Christ lui-même, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ; pour sauver, non pour juger ; pour servir, non pour être servi" (GS 3). François préfère "une Église ‘battue’, blessée et souillée parce qu'elle est sortie dans la rue, à une Église malade à cause de sa fermeture d'esprit et de son confort à s'accrocher à ses propres sécurités" (EG 49).

Un renouvellement complet de l'église

François rêve d'un renouveau ecclésial "capable de transformer toute chose, afin que les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toute structure ecclésiale devienne un canal adéquat pour l’évangélisation du monde actuel, plus que pour l’auto-préservation. La réforme des structures, qui exige la conversion pastorale, ne peut se comprendre qu’en ce sens : faire en sorte qu’elles deviennent toutes plus missionnaires, que la pas­torale ordinaire en toutes ses instances soit plus expansive et ouverte, qu’elle mette les agents pastoraux en constante attitude de ‘sortie’ et favorise ainsi la réponse positive de tous ceux auxquels Jésus offre son amitié" (EG 27).

François parle aussi d'une conversion de la papauté.

François parle de la nécessité de "progresser dans une décentralisation salutaire" (EG 16) qui accorde plus d'autonomie aux Conférences épiscopales et aux Eglises locales. Tout aussi salutaires est sa critique du " cléricalisme excessif " (EG 102), qui n'implique pas les laïcs - " la grande majorité du peuple de Dieu " (EG 102) - dans la prise de décision, et son désir de bergers ayant " l'odeur des brebis " (EG 24). Et François parle aussi d'une conversion de la papauté (EG 32) dans le sens d'une plus grande collégialité et d'une forme d'exercice de la primauté propice à l'œcuménisme. On le voit : la " conversion pastorale ou missionnaire " (EG 25, 27, 30, 32), l'Église en sortie est l'essentiel, et tout le reste en dépend. Et cela signifie aussi la volonté de dire adieu à ses structures ecclésiastiques "qui peuvent nuire à une dynamique d'évangélisation" (EG 26). L'évangélisation devient ainsi le principe herméneutique de la réforme de l'Église, comme c'était déjà le cas dans les Actes des Apôtres.

Un pape comme moteur de la réforme de l'église ?

La conscience que le Pape a de la réforme s'exprime dans son appel à " de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour avancer sur le chemin d’une conversion pastorale et missionnaire, qui ne peut laisser les choses comme elles sont " (EG 25).

En tant que fils de saint Ignace de Loyola, François a appris l'art de la délibération, du discernement des esprits et de la décision déterminée. C'est son modus operandi.

Hans Maier est d'avis que le pape jésuite pourrait très probablement réussir à "organiser l'art d'être prophétique". Car dans aucun autre ordre, la prophétie n'a été "organisée de manière aussi réfléchie, aussi pratique et aussi tangible" que dans la Compagnie de Jésus. En cela, la Compagnie incarne " une attitude d'esprit spécifiquement moderne " : " La remise en cause radicale de tout ce qui n'a été que transmis et établi se situe au commencement - tout est placé sous la loi de Dieu (en cela Ignace ressemble à Calvin). Mais la radicalité du nouveau départ constant est équilibrée par un haut degré de confiance personnelle dans les personnes raisonnablement instruites de l'Ordre qui sont dévouées à la cause, leur individualité, leur pouvoir de jugement, leur capacité de discernement. C'est pourquoi la direction de l'Ordre prête attention à l'opinion du plus grand nombre ; elle ne se contente pas de donner des directives de manière centralisée. Le Général de l'Ordre s'informe à fond, il demande, s'assure, lutte pour le discernement, prie." En tant que fils de saint Ignace de Loyola, François a appris l'art de la délibération, du discernement des esprits et de la décision déterminée. C'est son modus operandi.

Renouveau spirituel et réforme de l'église

François sait que les choses ne peuvent rester en l'état. En revanche, il vise d'abord un renouveau spirituel pour retrouver la joie de l'évangélisation. C'est là l'essentiel, car Jésus frappe de l'intérieur "pour que nous le laissions sortir", pour que nous le découvrions dans la nécessité de notre temps (GS 1). François a également en tête une réforme prudente de l'Église, poursuivie avec la prudence des jésuites. Jusqu'à présent, seuls les contours de cette réforme sont visibles et elle ne devrait pas s'arrêter à la papauté (œcuménisme, collégialité, décentralisation, synodalité). Ce que cela signifie, sera révèlera bientôt.

François rêve d'un éveil missionnaire et pastoral, d'un renouvellement complet de l'Eglise.

Lorsque François d'Assise se rendit à Rome en 1209 avec "douze" de ses frères pour demander au pape Innocent III de confirmer leur mode de vie, ce successeur de Pierre, conscient de son pouvoir et premier à revendiquer exclusivement pour lui le titre de "Vicaire du Christ", fit un rêve célèbre : l'Église était en train de s'effondrer et le Poverello allait la soutenir et la relever. Nous connaissons tous la fresque de Giotto. Maintenant, un autre François "en tant que Pape" a un rêve d'Eglise : il rêve d'un éveil missionnaire et pastoral, d'un renouvellement complet de l'Eglise. Compte tenu de la structure de l'Église catholique, beaucoup dépendra de la mesure dans laquelle le pape lui-même comprendra son travail au sens de son discours incendiaire de 2013 comme un tutiorisme de la réforme (Karl Rahner), et fera preuve non seulement de la responsabilité pétrinienne pour l'unité, mais aussi de l'audace paulinienne pour inaugurer les réformes nécessaires qui ne peuvent être reportées, même si les pharisiens d'aujourd'hui rejettent les innovations au nom de la tradition (cf. Ac 15, 5).

                                                                                                                     Prof. Dr. Dr. Dr. h.c. Mariano Delgado, doyen