Publié le 24.12.2020

Le mot du Doyen, Mariano Delgado - SA 2020/III


L'Adoration des bergers (El Grego,1612)

„… la lumière véritable, qui éclaire tout homme, venait dans le monde“ (Joh 1,9)

Cher-ère-s ami-e-s et cher-ère-s membres de la Faculté de théologie !

À l'occasion de « l'Adoration des Mages », l'Église a institué la fête de l'Épiphanie du Seigneur, car, selon la tradition, le Seigneur s'est manifesté aux peuples symbolisés par les trois rois ou « mages » comme le « Sauveur du monde ». Cependant, je suis de plus en plus attiré par « l'Adoration des Bergers » : à cause de ses représentations dans la peinture du baroque, mais aussi parce que, en tant que gens du peuple, ils représentent les « simples et humbles » ou les « tout-petits » (Mt 11, 25), à qui Dieu se manifeste en priorité. Bien qu'il n'y ait pas de jour de fête explicite pour cela dans l'année liturgique, la nuit de Noël peut certainement être considérée comme une « fête de l'Incarnation de Dieu et de l'adoration des bergers », car ils sont les premiers destinataires de la bonne nouvelle de la naissance du Messie et Sauveur du monde. Ils sont alors aussi les premiers adorateurs de l'Enfant dans la crèche, « enveloppé dans des langes ». Ils ont cru les anges et ont été promptement prêts à aller vers l'Enfant : « Allons jusqu'à Bethléem et voyons ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître ». Ils ont également été les premiers à annoncer la bonne nouvelle, car ils l'ont apoortée à Marie et Joseph « suivant ce qui leur avait été annoncé ». On dit que tout le monde était étonné « de ce que leur disaient les bergers » : « Quant à Marie, elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur » (Lc 2, 12-19). Le récit de Luc de la Naissance de Jésus et de l'Adoration des Bergers est lié dans l'histoire de l'art au prologue de Jean, où il est dit : « Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme ; il venait dans le monde » (Jn 1, 9), et cette lumière « luit dans les ténèbres » (Jn 1, 5).

Les grands peintres de l'époque baroque - non seulement dans l'Église catholique, où ils ont été exhortés par le Concile de Trente à suivre le récit « biblique » et à créer des œuvres qui, dans le sens d'une « catéchèse au pinceau », conduisent le contemplateur à la dévotion - nous ont laissé des représentations de « l'Adoration des Bergers », qui montrent l'enfant, « enveloppé dans des langes », entouré de Marie, Joseph et les bergers, comme une source de lumière dans l'obscurité. La lumière qui émane de l'Enfant se reflète avant tout dans le visage de Marie, mais aussi dans les visages de Joseph et des bergers, d'autant plus qu'ils s'approchent de l'Enfant avec un regard tendre. On le trouve dans « l'Adoration des Bergers » de Bartolomé Murillo, Francisco de Zurbarán, Gerard van Horthorst ou Matthias Stomer , mais aussi chez El Greco  et Rembrandt. Avec ces deux derniers, on a aussi l'impression que l'enfant « enveloppé dans des langes » n'est pas seulement une lumière dans l'obscurité, mais une source de chaleur, un « feu » pour ceux qui s'en approchent. El Greco et Rembrandt ont ainsi très bien rendu compte du regard « mystique » au mystère de l'incarnation : ce que Dieu veut avec l'Incarnation est, en fait, « de faire de nous des dieux par la participation, comme il l'est par nature, le feu transformant toutes choses en feu » - disait, par exemple, le « docteur mystique » St Jean de la Croix.

Faisons comme les bergers : soyons éclairés par la lumière de l'Incarné et réchauffés et purifiés par son feu afin de lui ressembler davantage. Cela n'éclaircira pas toutes nos questions face aux adversités de l'existence humaine, que Lui aussi a vécues, depuis la naissance dans l'étable et la fuite en Égypte « jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix ! » (Ph 2, 8), abandonné par tous. Mais cela pourrait donner à notre vie une nouvelle perspective : malgré tout, il vaut la peine de vivre selon les valeurs de l'Évangile (il l'a promis « le centuple », Mc 10,30, 4,20), de défendre une vie digne pour tous, d'assumer la vision des "petits" de l'histoire, de prendre soin de notre prochain et de l'environnement, de croire en un Dieu dont l'essence est « l'amour » (1 Jean 4,16) et en qui, comme le disait Don Quichotte, « la miséricorde brille plus que la justice ».

Je souhaite à tous les ami-e-s et membres de notre Faculté de théologie un Joyeux Noël, au cours duquel, avec les bergers, nous considérerons l'Enfant dans la crèche de Bethléem comme la véritable lumière du monde ! Puisse cette lumière briller également dans la pandémie actuelle et nous enseigner plus d'humilité et de connaissance de soi, ainsi qu'un nouveau mode de vie qui laisse derrière lui la fierté de l'hybris – et qui met des accents chrétiens dans le polyphone des cultures et religions du monde en quête d'une nouvelle spiritualité et d'un nouvel humanisme.

Prof. Dr. Dr. Dr. h.c. Mariano Delgado, Doyen