Publié le 23.11.2018

Quand on prêchait à Paris au Moyen-Âge...


Interview de Madame Nicole Bériou

Le 16 novembre dernier, Madame Nicole Bériou, historienne spécialiste de la prédication dominicaine au xiiie siècle, a donné sa leçon publique de doctor honoris causa, suivie par une bonne soixantaine de personnes. Le titre en était alléchant : La prédication à Paris au Moyen-Âge. Témoignages sur le vif. Sur le vif ? Comprenez : comme si vous y étiez. En tout cas, moi – avait l’air de dire l’héroïne de ce jour – j’y étais ! Mais comment est-ce possible, puisqu’il s’agissait de parler d’une époque révolue, le xiiie siècle ? C’est là que notre doctor honoris causa a montré toute sa compétence et sa pédagogie.

Les historiens ne sont pas des gens à vous raconter des histoires. Mais, à force d’étudier les documents anciens, ou les monuments – dans le cas d’un-e archéologue –, ils finissent par repérer certains détails qui permettent d’éclairer l’ensemble du document. En bref, de lui redonner vie, de lui donner chair dans l’histoire des hommes. Nicole Bériou a fait ressortir l’arrière-fond de tel sermon ; ou comment les auditeurs du prédicateur n’hésitaient pas à l’interrompre pour donner leur avis, y compris le saint roi Louis ! Les manuscrits qu’elle a présentés ne sont pas des originaux écrits de la main du prédicateur, mais des transcriptions de sermons faites par des fans de tout bord, étudiants du Collège de Sorbon ou encore jeunes dominicains venant écouter un de leurs aînés.

Madame Bériou a aussi expliqué d’où venait, dans la peinture occidentale, l’idée que le futur saint Paul était tombé de cheval sur le chemin de Damas. Vous pouvez lire les Actes des apôtres dans tous les sens : vous n’y trouverez pas trace du cheval de Saul de Tarse. Et pour cause ! Il n’y en avait certainement pas. Mais beaucoup de peintres ont ainsi recomposé la scène biblique, et nombre de prédicateurs ont remué les foules en racontant comment Saul s’était fracassé tout net en tombant de son destrier. Or, l’origine de cette charmante anecdote remonte au xiiie siècle, l’époque par excellence de la chevalerie. Pour le prédicateur, donner un cheval à saint Paul c’était donc mettre en valeur sa fierté de pharisien rigoureux, sûr de sa fidélité à la Loi de Moïse. Sa rencontre avec le Christ ressuscité commence alors par une vigoureuse ruade de son cheval, qui le précipite à terre. Son orgueil humain est vaincu, et dès lors il prêchera l’humilité du Christ et celle qu’il attend de ses disciples, ne mettant plus sa fierté dans son appartenance sociale ou religieuse, mais dans la seule croix du Christ.

Prof. Luc Devillers