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Religions

Combat d’une féministe dans l’islam

Asma Lamrabet s’attaque aux traditions patriarcales et réclame l’égalité au nom du Coran

A cause de ses positions, la Marocaine Asma Lamrabet a dû quitter la direction du Centre des études féminines en islam, dans son pays.

 Sandrine Hochstrasser

Sandrine Hochstrasser

8 septembre 2018 à 04:01

Religion » C’est un féminisme peu connu sous nos latitudes. Un mouvement qui s’appuie sur le Coran pour revendiquer l’égalité des sexes. Asma Lamrabet, 57 ans, en est une figure de proue. La Marocaine, médecin-biologiste à Rabat, a écrit une dizaine d’ouvrages sur la place des femmes dans la religion musulmane. A l’approche d’une conférence à l’Université de Fribourg*, l’essayiste a accepté d’aborder les «questions qui fâchent», le titre de son dernier ouvrage.

Excision, polygamie, tutelle: l’islam n’est-il pas une religion profondément misogyne?

Asma Lamrabet: Si on parle de l’institution avec sa tradition et ses interprétations: oui, l’islam institutionnel est misogyne, comme toutes les autres traditions monothéistes, puisque très influencé par les coutumes et les normes sociales. La majorité des oulémas (savants musulmans), à l’instar de la majorité des prêtres et des rabbins, ont toujours eu une interprétation patriarcale des textes religieux. Mais le message spirituel, qui est l’essence de la religion, n’est pas misogyne. Au contraire: l’islam, tout comme le judaïsme et le christianisme, est porteur d’une spiritualité profondément libératrice.

Vous parlez de la «décadence de la pensée islamique». La situation empire-t-elle?

Il y a le poids des conflits armés dans certains pays. Et ce sont les femmes qui paient le prix fort. Il n’y a qu’à voir l’Irak ou la Syrie. Les femmes étaient émancipées dans les années 1960, elles avaient le droit de vote, contrairement aux Suissesses et aux Françaises. Aujourd’hui, il y a une grave régression de leur statut. Ces pays se recroquevillent sur leur identité musulmane, et le discours religieux instrumentalisé par le politique se focalise sur le corps des femmes, censé être le gardien de l’identité musulmane.

Mais le monde musulman n’est pas monolithique. D’autres pays, comme la Malaisie ou le Maroc, font beaucoup de progrès. C’est le problème du discours occidental actuel, qui parle de la «femme musulmane». Or une Saoudienne n’a rien à voir avec une Tunisienne.

Les Suisses sont appelés à voter prochainement sur le voile intégral. N’est-ce pas un exemple de soumission des musulmanes?

La burqa et le niqab ne sont pas un précepte coranique. Je dirais même qu’ils vont à l’encontre du Coran. La tradition du prophète interdit aux femmes de mettre un voile sur leur visage lors du Pèlerinage à la Mecque – qui, soit dit en passant, est resté un endroit mixte, contrairement à de nombreux lieux de culte musulmans aujourd’hui. La burqa et le niqab ne sont que des traditions pré-islamiques.

Et le foulard sur les cheveux? Le Tribunal fédéral a autorisé une fille à le porter à l’école primaire en Suisse, en vertu de la liberté de conscience. Mais cette pratique dérange dans les préaux…

Je suis moi-même choquée quand je vois des fillettes qui portent le foulard. La tradition – et non le Coran – recommande de le porter à partir de l’âge adulte, une fois que la jeune femme est libre de son choix. L’obligation de le mettre, comme l’obligation de l’enlever, pour une femme majeure, relève de la même logique totalitaire. Elle est contraire à l’essence même de la spiritualité musulmane pour qui la foi est une question personnelle et de liberté de choix. Le Coran recommande la décence, mais n’impose pas d’habillement spécifique. L’apparence n’est pas un critère de piété! La foi se situe au niveau de l’intériorité, de la bonté, etc.

Mais vous portez vous-même un foulard?

Il s’agit, pour moi, d’une conviction spirituelle et d’un libre choix. Celui du droit de porter ce que je veux. Je n’ai pas à me justifier parce que je porte un short, une minijupe ou un voile. Nous, les femmes, devrions refuser d’aborder ce genre de registre. Malheureusement, l’islam politique – en proie à de graves frustrations socio-économiques – s’est focalisé, dès les années 1970-1980, sur le corps des femmes et le voile est devenu un slogan politique. Il ne faudrait pas que l’Occident fasse la même erreur. Car il y a une réalité complexe derrière le foulard. 80% des femmes le portent dans le monde musulman – certaines le font par choix, d’autres par obligation, ou par tradition. Des ministres et des juges au Maroc se couvrent la tête. Leur voile n’est pas un signe de soumission.

Quel féminisme défendez-vous?

Je me considère comme féministe pour ses principes universels. Mais je me situe dans mon contexte arabo-berbère, et je recherche des solutions endogènes, propres à mon contexte. Il a 36 000 façons d’être féministe. Pourquoi pas islamique?

Beaucoup de musulmanes se battent pour leur émancipation. C’est un travail de fourmi, loin des médias. Nous avons obtenu par exemple au Maroc une révision du code familial en 2004, qui est extraordinaire. Elle nous a permis de nous libérer de la tutelle juridique patriarcale, en matière de mariage et de divorce notamment. Mais pensez-vous qu’elle soit appliquée dans la pratique? Non. Car les mentalités ne sont pas prêtes. Les lois sont importantes, mais elles ne suffisent pas.

Avec le réseau de femmes académiciennes Musawah, basé à Kuala Lumpur, nous essayons de déconstruire ces traditions islamiques. C’est un travail de fond. Ce ne sont pas des slogans du type «l’islam est oppresseur» qui feront avancer les choses. Ces critiques provoquent un repli identitaire.

* Les femmes dans le Coran: une lecture féministe des sources. Conférence suivie d’une table ronde. Mercredi 12 septembre à 17 h, à l’Université de Fribourg, boulevard de Pérolles 90.


 

Pas de vierges au paradis dans le Coran

L’islam se référerait au texte de la création, celui d’Adam et Eve, pour justifier la supériorité de l’homme?

Asma Lamrabet: Dans le Coran, aucun texte ne dit que la femme aurait été créée à partir de la côte d’Adam. Les récits de la création sont complètement égalitaires. Ce sont les interprétations humaines codifiées vers le VIIIe - IXe siècle qui affirment que les hommes seraient supérieurs aux femmes. Les théologiens musulmans ont été influencés par les productions religieuses antérieures des savants juifs et chrétiens. Et leurs interprétations ont été sacralisées. Les féministes juives et chrétiennes sont également en train de déconstruire ce concept-là. Elles démontrent que le texte égalitaire a été marginalisé par les théologiens de l’époque.

Mais le Coran autorise les hommes à se marier avec plusieurs femmes…

On justifie la polygamie en sortant un seul verset du Coran. Or celui-ci est venu limiter une tradition polygame très répandue. Dans l’ère pré-islamique, des hommes avaient jusqu’à 20 épouses! Ce verset du Coran est venu restreindre cette pratique à 4 unions. Et deux autres versets proscrivent quasiment la polygamie, en affirmant qu’un homme ne peut être juste avec plusieurs femmes. La monogamie est la norme dans le Coran. Mais la lecture patriarcale a conservé un seul verset, hors de son contexte, pour justifier le maintien de la polygamie.

Le Coran parle de 72 vierges qui attendent les hommes aux paradis. Et les femmes?

Le Coran ne parle pas de vierges, mais d’«êtres symboliques» suprêmes. Il évoque de façon très abstraite ces êtres aux «pupilles noires». Puis l’imaginaire musulman patriarcal a imaginé des femmes! Ils ont créé des soi-disant hadiths (communications du prophète) contraires à la raison, stipulant que 72 vierges attendaient les hommes. C’est à côté de la plaque! On ne trouve pas de telle description dans le Coran. SH


 

Plus dangereuse que les féministes laïques

Asma Lamrabet a dirigé pendant huit ans le Centre des études féminines en islam au sein de la Rabita Mohammadia des oulémas du Maroc, une instance religieuse sous la tutelle du roi.

Mais elle a dû prendre la porte en mars dernier. «L’institution religieuse a estimé que j’avais dépassé les limites du respect des constantes et de la tradition islamique, et que je devais m’en aller. Ce qui est faux: je me positionne à partir de cette tradition-là. Je la revendique et je la critique de l’intérieur», regrette la Marocaine.

Le point de rupture? Ses positions en faveur d’une égalité dans l’héritage. Selon le droit islamique, le fils hérite du double de la fille, lors du décès des parents. «C’est de nouveau un verset sorti de son contexte», plaide-t-elle. «Au VIIe siècle, les femmes n’héritaient pas. Elles faisaient partie du butin! Le Coran a essayé de corriger cette tradition, en donnant une part aux femmes. Ce verset visait la justice, sachant qu’à cette époque, les hommes maintenaient financièrement le foyer. Un frère s’occupait de sa sœur. Aujourd’hui les femmes sont autonomes. Toute la structure familiale a changé. Donc donner une part égalitaire, c’est respecter le sens de la justice du Coran», souligne-t-elle.

L’essayiste dit avoir toujours défendu ce point de vue, «qui fait peur aux hommes». Car il s’appuie sur le Coran. «Certains estiment que je suis beaucoup plus dangereuse que les féministes laïques marocaines, car celles-ci n’ont pas l’ouïe de la majorité des Marocains, très sensibles aux questions religieuses.» SH

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