Biodiversité11.08.2022

Espèces exotiques: mal aimées mais pas forcément néfastes


Les espèces végétales et animales exotiques sont très souvent jugées nuisibles à la biodiversité locale par les spécialistes de la conservation. Le tableau doit toutefois être nuancé. Une nouvelle méthodologie de classification, baptisée EICAT+, a pour ambition de prendre en compte les éventuels impacts positifs de ces espèces non indigènes. Giovanni Vimercati du Département de biologie de l’Université de Fribourg en a dirigé l’élaboration.

Moustique tigre, tortue de Floride, moule quagga, ambroisie ou encore renouée du Japon, les espèces exotiques, qu’elles soient animales ou végétales, inquiètent les spécialistes au point de souvent faire la une des journaux. On les qualifie d’invasives car elles représentent en générale une menace pour la faune et la flore locale, à l’exemple de l’écrevisse américaine qui a presque entièrement supplanté sa cousine autochtone. En 2020, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a adopté un système de classification des espèces exotiques envahissantes qu’elle a intitulé EICAT (Environnemental Impact Classification of Alien Taxa). Des chercheuses et chercheurs de l’Université de Fribourg y ont grandement contribué. Celui-ci permet de hiérarchiser, de manière simple et objective, les espèces exotiques en fonction de la nature et de l’ampleur de leurs impacts.

Nuancer le tableau
Ce nouveau standard ne considère toutefois que les impacts négatifs. «Or, il faut garder à l’esprit que certaines espèces exotiques peuvent avoir des effets positifs sur la biodiversité locale, explique Giovanni Vimercati, chercheur dans le groupe de Sven Bacher au Département de biologie de l’Université de Fribourg, elles peuvent par exemple fournir de la nourriture ou un habitat à des espèces autochtones sur le déclin.» Et de citer l’exemple de la tortue géante des Seychelles (Aldabrachelys gigantea), une espèce originaire des Seychelles mais introduite dans les îles Mascareignes, à l’est de Madagascar: «Bien qu’exotique, cette tortue a permis d’y assurer la dissémination de graines que l’extinction de certaines espèces locales avait rendu impossible.»

Pour prendre en compte ce type d’impacts positifs, jusque-là négligé, Giovanni Vimercati et ses collègues de l’Université de Fribourg (Sven Bacher, Anna Frances Probert et Lara Volery), ainsi que des experts internationaux ont développé un nouvel instrument de classification: EICAT+. Celui-ci doit permettre aux spécialistes de la protection de l’environnement, ainsi qu’aux responsables politiques de mieux jauger les effets des espèces exotiques sur l’environnement local.

EICAT+
EICAT+ évalue l’impact des espèces non indigènes au moyen de 5 scénarios semi-quantitatifs capables de décrire et de mesurer l’ampleur des éventuels effets positifs sur la biodiversité. «On pourrait, par exemple, qualifier l’impact d’une espèce exotique de moyennement positif quand celle-ci favorise l’augmentation de la population d’une plante ou d’un animal indigène. Cet impact pourrait même être qualifié de majeur ou de massif s’il va jusqu’à en empêcher l’extinction», illustre Giovanni Vimercati.
Cet instrument permet également d’appréhender les mécanismes sous-jacents et de voir si leurs effets sur la faune et la flore autochtone s’avèrent réversibles une fois les espèces exotiques extirpées. EICAT+ s’applique à différentes échelles spatiales, du local au global, ainsi qu’à tous les groupes taxonomiques (règne animal, végétal et fongique). «Ce nouvel outil permet de combler les lacunes scientifiques et de mieux comprendre les conséquences des invasions biologiques, se réjouit Giovanni Vimercati. Grâce à EICAT+, nous pourrons anticiper les éventuels effets négatifs des mesures de contrôle ou d’éradication des espèces exotiques.»

A l’avenir, les actions de lutte à l’encontre de certaines espèces exotiques seront plus nuancées, puisqu’elles prendront en compte les impacts à la fois positifs et négatifs sur la biodiversité locale. Les spécialistes pourront même utiliser EICAT+ pour évaluer dans quelle mesure les espèces végétales ou animales venues d’ailleurs peuvent permettre d’atteindre leurs objectifs de préservation de l’environnement. Un véritable changement de paradigme!

Lire la publication dans PLOS Biology