L’Institut européen du droit (ELI), par Prof. Pascal Pichonnaz

Le 1er juin 2011, l’Institut européen du droit (European Law Institute, ELI) était fondé à Paris, au cours d’un colloque rassemblant plusieurs centaines de professeurs, de juges de cours d’appel et de cours suprêmes, d’avocats et de notaires venus de toute l’Europe. Créé à l’image de sa grande sœur l’American Law Institute (ALI), fondée en 1923, l’ELI a pour but premier d’améliorer la qualité du droit en Europe, au sens large, en lançant des projets d’envergure non seulement pour renforcer l’intégration juridique en Europe, mais aussi pour créer une communauté de juristes européens plus vigoureuse qui intègre les diverses cultures juridiques et mette en œuvre une approche comparative et européenne dans l’analyse des problèmes juridiques.

Comme l’ont démontré les célébrations des dix ans, l’ELI a fait preuve d’une vigueur et d’un engagement impressionnants concrétisés par des projets d’une grande diversité. Le nombre de fellows et d’institutions a aussi augmenté de manière significative en dix ans. En février 2022, l’ELI comptait plus de 1’700 membres et 117 institutions, dont une vingtaine de cours suprêmes, mais également des études d’avocats et des Universités de toute l’Europe, et au-delà. Un aperçu des membres de l’ELI est disponible ici pour les membres individuels et ici pour les institutions.

Ce blog entend présenter le travail de l’ELI, sans toutefois entrer dans tous les détails des nombreux projets récemment achevés et encore en cours.

En tant qu’institution entièrement indépendante, l’ELI entame des projets de sa seule initiative, même s’ils répondent souvent à des intérêts et des questions soulevés par la Commission européenne, d’une part, ou qu’ils envisagent des enjeux à caractère européen, d’autre part. Sa perspective ne se limite toutefois pas à l’expérience européenne ; l’ELI coopère également avec diverses organisations internationales pour des projets déterminés, comme l’ALI, l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT) ou encore la Commission des Nations-Unies pour le développement du commerce international (CNUDCI-UNCITRAL).

Comme le montrent les projets ci-dessous, l’ELI s’efforce de dépasser les frontières des différentes cultures juridiques, mais aussi les délimitations entre droit public et droit privé, entre recherche et pratique. Cela passe notamment par une collaboration avec un large éventail d’experts, autant de personnalités reflétant la richesse des traditions et disciplines juridiques, de même que des activités professionnelles que l’on trouve dans toute l’Europe.

Comment l’ELI est-il structuré ?

L’organe suprême de l’Institut est constitué par l’Assemblée générale des membres, qui élisent en leur sein le Conseil de l’ELI, organe décisionnel composé d’un maximum de 56 membres individuels, ainsi que de membres de droit représentant des institutions spécifiques. Le Conseil délègue une grande partie de ses tâches et de ses pouvoirs à ses comités permanents qui traitent de questions telles que l’adhésion de nouveaux membres et la collecte de fonds.

A son tour, le Conseil élit parmi ses membres un Comité exécutif, organe administratif de l’Institut composé de sept membres, dont un président (actuellement le soussigné) et deux vice-présidents (Lord John Thomas of Cwmgiedd, ancien juge et ancien chief justice of England and Wales, actuel membre de la House of Lords, ainsi que Me Anne Birgitte Gammeljord, avocate auprès de la Cour suprême danoise et ancienne présidente du CCBE). Les autres membres du comité sont le trésorier Prof. Pietro Sirena (doyen de la Faculté de droit de Bocconi à Milan), Prof. Bénédicte Fauvarque-Cosson (Juge au Conseil d’Etat français), Prof. Teresa Rodríguez de las Heras Ballell (professeure à la Faculté de droit Carlos III de Madrid) et Dr Aneta Wiewiórowska-Domagalska (chercheuse à l’Université d’Osnabrück et en Pologne).

Depuis 2021, l’ELI s’est associé le soutien d’une directrice scientifique en la personne de la Prof. Christiane Wendehorst (Université de Vienne), elle-même ancienne présidente de l’ELI.

En outre, il existe un Sénat, présidé par le Prof. Reinhard Zimmermann, chargé de donner conseils et suggestions à l’ELI. Enfin, un Tribunal arbitral règle les éventuels litiges au sein de l’ELI.

Le Secrétariat de l’ELI, hébergé par l’Université de Vienne, a pour mission de soutenir les organes compétents de l’Institut. Il est situé au cœur de Vienne, dans les locaux de l’ancienne bourse (Schottenring 16).

Comment les projets sont-ils choisis ?

Les projets sont la pierre angulaire des activités de l’ELI et sont regroupés autour de trois piliers : (1) L’État de droit au 21e siècle ; (2) Droit et gouvernance à l’ère de la société numérique ; (3) Vie et société durables.

A la suite d’une réunion d’experts de haut-vol (High Level Expert Group), qui examinent à la demande du Comité exécutif de l’ELI diverses possibilités de thèmes, ce dernier identifie les projets pertinents et soumet ensuite les propositions de projets au Conseil de l’ELI pour approbation en consultation avec le Sénat et les autres parties prenantes. Parfois, les projets découlent aussi d’un papier pour l’innovation (innovation paper), rédigé sur la base d’un concours interne, afin de stimuler de nouvelles perspectives. Ce fut par exemple le cas pour le 1er papier (innovation paper) relatif aux nouveautés à apporter à la Directive européenne en matière de responsabilité du fait des produits défectueux compte tenu de la numérisation et de l’intelligence artificielle. Un groupe de chercheurs prépare désormais un projet de révision de cette directive et les liens avec un potentiel acte législatif relatif à la responsabilité pour l’intelligence artificielle.

Quelques projets récemment achevés

En décembre 2019, l’ELI a adopté les Model Rules on Online Platforms qui proposent 28 dispositions fixant à la fois les droits et les obligations des opérateurs de plateformes, des clients, ainsi que des tiers. La question de la responsabilité des divers acteurs fait l’objet de dispositions spécifiques, tout comme l’obligation de mettre à disposition en ligne un régime approprié de résolution des différends. On relèvera aussi l’importance des dispositions sur les systèmes de réputation. Ces règles-modèles sur les plateformes en ligne ont déjà influencé l’Union européenne qui a décidé de d’initier une révision de sa réglementation en la matière ; en outre, plusieurs pays considèrent la reprise de ces règles.

En mars 2020, les membres de l’ELI ont adopté un rapport rédigé sur le thème Protection of Adults in International Situations. Cerapport propose que l’Union européenne envisage à la fois une action extérieure, tendant à autoriser les Etats-membres qui ne l’ont pas encore fait à ratifier la Convention de la Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes, mais aussi une action intérieure, visant à adopter une législation complétant la Convention et améliorant son fonctionnement entre les Etats-membres.

Le 5 août 2020, les membres de l’ELI ont adopté les Model European Rules of Civil Procedure, un projet mené de concert avec l’Institut UNIDROIT à Rome. Cette mise à jour des Principes de procédure civile transnationale dans un document cohérent portant sur l’ensemble de la procédure a d’ores et déjà été traduit dans diverses langues et publié en open source auprès de Oxford University Press en 2021.

En mars 2021, les membres de l’ELI ont adopté une étude portant sur une harmonisation européenne du traitement fiscal des dépenses de « recherche et développement » (R&D). Le projet vise avant tout à indiquer ce qui peut constituer des dépenses de « recherche et développement » et comment gérer leur traitement fiscal, en particulier à quelles conditions ces dépenses peuvent être déduites. L’analyse se fonde également sur des rapports nationaux.

En septembre 2021, l’ELI a adopté, à la suite de l’ALI, les ALI-ELI Principles for the Data Economy : Data Transactions and Data Rights. Il s’agit de 45 principes qui sont autant de règles dispositives pour régler les relations contractuelles entre les acteurs de l’économie des données. Outre les dipositions sur les contrats typiques du domaine, les Principes proposent des solutions pour les données cogénérées, pour la question des droits des tiers ou des institutions publiques sur les pools de données, ou encore pour les enjeux de droit international privé. Ce projet mené avec l’ALI suscite énormément d’intérêt et fait d’ores et déjà l’objet d’une traduction en chinois.

Au début du mois de décembre 2021, le Conseil de l’ELI a adopté un sous-projet d’un projet plus large relatif à l’accès aux biens numériques (Access to Digital Assets). Les ELI Principles on the Use of Digital Assets as Security présentent cinq principes sur les règles à appliquer pour utiliser des biens numériques comme sûretés ; ils traitent bien sûr des aspects liés à la question de savoir comment gérer les conflits potentiels entre les sûretés dans le monde réel par rapport aux sûretés numériques, mais aussi des questions de droit international privé.

A fin décembre 2021, les membres de l’ELI ont également adopté un projet intitulé Business and Human Rights : Access to Justice and Effective Remedies.˙Soutenu par l’Agence européenne pour les droits fondamentaux (FRA), l’ELI propose un rapport autour des quatre thèmes que sont la due diligence des droits humains, la mise en place de mécanismes de résolution collective des violations, les questions de droit international privé et les solutions pour une mise en œuvre efficace des moyens de droit, tout en assurant la transparence.

En décembre 2021, les membres de l’ELI ont en outre adopté les nouveaux Principes intitulés : Model Rules on Impact Assessment of Algorithmic Decision-Making Systems Used by Public Administration. Ces principes, relatifs au recours à l’intelligence artificielle en matière de processus de décision dans l’administration publique, innovent avec un régime d’autorisation fondée sur une étude d’impact pour toutes les IA qui présentent un danger pour les droits fondamentaux ou qui pourraient en présenter un.

Enfin, dans le même temps, les Membres de l’ELI ont adopté en décembre 2021 un projet intitulé : Freedom of Expression as a Common Constitutional Tradition in Europe. Ce rapport présente les diverses facettes de la liberté d’expression comme tradition constitutionnelle commune en Europe et donne ainsi un outil bienvenu pour les praticiens du droit ainsi que pour les chercheurs dans ce domaine.

Et finalement un coup d’œil aux projets à venir

Lors de prochains blogs, nous aurons l’occasion de revenir sur des projets en cours, de haute actualité, afin de présenter les divers aspects saillants de l’un ou l’autre. En guise d’amuse-bouche, mais aussi pour permettre à chacune et chacun de se faire une idée de la grande variété de l’activité de l’ELI, nous vous mettons ci-dessous les liens vers les divers projets. Peut-être aurez-vous également envie de vous joindre à nous en déposant votre candidature au European Law Institute. N’hésitez pas à le faire en remplissant le formulaire disponible ici.

Les projets en cours :

L’État de droit au XXIe siècle

Droit et gouvernance à l’ère de la société numérique

Vie et société durables

D’autres projets sont en préparation, en particulier les suivants :

L’État de droit au XXIe siècle

  • Responsabilité des entreprises
  • Conflit de lois dans l’UE pour les entreprises : L’acquis et au-delà
  • Reconnaissance des accords issus de la médiation non-commerciale
  • Financement des litiges par des tiers

Droit et gouvernance à l’ère de la société numérique

Vie et société durables

Une très riche palette de projets ! Devenez membres et vous aurez ainsi la possibilité d’obtenir des mises à jour régulières sur ces projets, ainsi que d’intervenir comme membre du comité consultatif des membres (MCC) ou du conseil d’experts (AC) sur les thèmes qui vous intéressent.

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