Publié le 29.09.2021

Un nouveau livre explore les effets de nos langues biaisées envers le masculin.


Les avis sur la langue inclusive sont tranchés mais souvent peu informés. Co-écrit par Pascal Gygax de l’Université de Fribourg, le livre Le cerveau pense-t-il au masculin? propose une mise au point scientifique facile d’accès sur les liens entre langage et constructions sociales liées au genre. Il argumente que la langue peut – et devrait – évoluer par sa pratique.

La langue influence fortement notre manière de voir le monde, de penser et d’agir. Elle reflète également les constructions sociales liées au genre, notamment la place centrale accordée aux hommes dans la société, l’androcentrisme. A chaque fois que nous nous exprimons, nous transmettons et renforçons malgré nous les stéréotypes sur la place des femmes et des hommes dans la société. Mais nous pouvons en prendre conscience et faire le choix de pratiquer une langue moins exclusive. Ces thèses constituent le cœur du livre Le cerveau pense-t-il au masculin?, co-écrit par Pascal Gygax, directeur de l’équipe de psycholinguistique et de psychologie sociale appliquée au sein du Département de psychologie de l’Université de Fribourg.

La langue reflète les biais de notre société
L’ouvrage montre comment l’androcentrisme se reflète dans la langue et comment celle-ci le nourrit. En se basant sur des études scientifiques, il analyse les conséquences du rôle double pris par le masculin: d’un côté il peut référer au sexe masculin, de l’autre prendre un sens générique censé inclure les femmes. Le livre explicite les difficultés d’interprétation que cette ambiguïté nous pose et aborde ses conséquences sociales.

La grammaire a beau attribuer un sens générique au masculin, des études de psycholinguistique, menées notamment par Pascal Gygax et ses collègues depuis une quinzaine d’années, s’accordent sur le fait que nous ne l’interprétons pas ainsi. «L’idée que la forme masculine pourrait prendre une valeur neutre est tout simplement incompatible avec la manière dont notre cerveau fonctionne, explique le chercheur. Lorsque nous lisons un terme au masculin, nous ne voyons pas vraiment les femmes qui sont censées être signifiées. Cela a des conséquences importantes pour toute la société, par exemple sur les choix de carrière. Les filles grandissent dans un environnement dans lequel l’écrasante majorité des professions sont décrites au masculin, une forme qui les exclut. Les études montrent qu’elles se sentent moins concernées et moins confiantes dans leur capacité à mener une carrière avec succès que si l’on utilise une fourme double, telles que ‹politicienne ou politicien›.»

Pascal Gygax et ses co-autrices Sandrine Zufferey et Ute Gabriel rappellent comment éviter de propager les biais induits par la langue en utilisant des formulations non exclusives. Il s’agit de «démasculiniser» la langue, un terme qui rappelle que le français pratiqué actuellement est le produit de vagues de masculinisation. De nombreux métiers déclinés au féminin – tels que «professeuse», «autrice» ou «médecine», – ont ainsi disparu, notamment suite aux décisions de l’Académie française. La règle de l’accord systématique au masculin («les garçons et les filles se sont assis») ne s’est véritablement imposée qu’au XVIIIe siècle, remplaçant des formes plus flexibles telles que l’accord de proximité («les garçons et les filles se sont promenées»), de majorité («les écolières et les enseignants sont sorties») ou encore d’importance («les femmes et le chien se sont promenées»).

Débattre des évolutions de la langue
«Les langues évoluent constamment», rappelle Pascal Gygax. Et ces évolutions se font moins à travers les règles édictées par des instances officielles que par l’usage. On le remarque notamment en anglais, qui a vu l’utilisation du pronom «they» pour signifier une personne dont on ne connaît pas le genre redevenir populaire, ou en Suède, où un livre pour enfants a lancé l’usage du pronom neutre «hen». «C’est à nous de décider de la manière dont nous communiquons», souligne le psycholinguiste.

Le livre paraît aux éditions Le Robert dans la collection «Temps de parole», qui vient d’être lancée pour analyser les évolutions de la langue et les débats qu’elles suscitent. Elles ont fait appel au spécialiste de l’Université de Fribourg, l’un des rares psycholinguistes qui étudie le français sous l’angle de la psychologie. «L’un des objectifs du livre est d’amener dans ce débat, parfois houleux, des arguments scientifiques factuels, explique Pascal Gygax. Cela aidera à mener des discussions informées sur les évolutions de la langue.»

  • Le cerveau pense-t-il au masculin?, par Pascal Gygax, Sandrine Zufferey et Ute Gabriel, aux éditions Le Robert, mai 2021.
  • Pascal Gygax dirige l’équipe de psycholinguistique et psychologie sociale appliquée de l’Université de Fribourg. Sandrine Zufferey est professeure de linguistique française à l’Université de Berne. Ute Gabriel est professeure à l’Université norvégienne des sciences et de la technologie, où elle enseigne la psychologie sociale.