Free-speech – La parole à Robin Jolissaint

Free-speech – La parole à Robin Jolissaint

Robin Jolissaint, doctorant en sciences sociales et président de l’Association de développement durable de l’Unifr Myosotis, ouvre cette nouvelle série sur la question de la liberté de parole des scientifiques. Entre science et engagement, du labo à la rue, du terrain de recherche au monde, qui peut dire quoi?

Robin Jolissaint, de manière générale, toute vérité est-elle bonne à dire?
Si cacher la vérité permet de protéger l’autre, pourquoi pas. Le pire est de cacher la vérité pour protéger uniquement ses propres intérêts, contre les autres. Il faut faire preuve d’intelligence et d’honnêteté.

Quel est votre métier? Sur quoi portent vos recherches?
Je suis doctorant en sciences sociales. Parallèlement, je suis assistant de mon directeur de thèse, ce qui implique notamment la responsabilité d’une charge de cours et un nombre important de tâches pour mon équipe qui concernent la pédagogie, l’administration, la communication et la participation aux instances politiques de l’Université. Je suis également militant, sans être rémunéré pour cela. Je participe à plusieurs associations de défense de l’environnement, j’organise des conférences sur le sujet, je suis actif dans un parti politique et dans un syndicat.

Ma recherche de thèse porte sur la transition écologique des entreprises. J’effectue une enquête ethnographique auprès d’une PME pour comprendre comment elle met en place sa transition et je m’intéresse particulièrement à comprendre comment cela modifie le sens et la pratique du travail pour ses employé·e·s. L’enjeu est également de définir une transition réussie: quand peut-on dire qu’une transition écologique est terminée et satisfaisante?

Certain·e·s scientifiques, notamment celles et ceux qui étudient le climat, ne se contentent pas de publier leurs résultats, mais tentent aussi d’alerter l’opinion publique ou d’inciter les autorités à l’action. Jugez-vous que c’est le rôle de la communauté scientifique ou que celle-ci doit se cantonner à ses recherches sans prendre position?
La question peut donner l’impression que réfléchir aux implications concrètes de ses résultats scientifiques serait une prise de position malvenue. Or c’est précisément le travail du sociologue que de comprendre les implications sociopolitiques et socioéconomiques de ses recherches. De plus, on ne poserait certainement pas cette question à un·e chercheur·euse en management qui conseillerait une entreprise, ni à un·e chimiste qui monterait une start-up; pourtant iels aussi poursuivraient leur travail de recherche dans ce qu’on nomme malencontreusement le «vrai» monde.

Je pense que c’est le choix de tout·e chercheur·euse de décider à qui iel souhaite communiquer les résultats de sa recherche: uniquement à un public de spécialistes dans les revues scientifiques ou plus largement. Du moment que je suis convaincu que les résultats de ma recherche révèlent un besoin urgent d’agir pour préserver la cohésion de notre société et des conditions de vie humaine possibles sur Terre, ce qui est le cas lorsqu’on traite du dérèglement climatique, alors je pense que tous les moyens d’alerter sont non seulement bons, mais nécessaires.

Certaines de vos recherches peuvent-elles susciter un débat scientifique, voire alimenter des discussions politiques? Si oui lesquelles? Est-ce déjà arrivé?
En sciences sociales, il est assez fréquent que nous soyons invité·e·s à nous exprimer publiquement, puisque nos thématiques de recherche parlent de la réalité sociale dans laquelle nous vivons au quotidien. Dans mon cas, en tant que sociologue du travail, j’ai pu répondre à des questions sur le sens et la définition du travail au travers du concept de bullshit jobs qui a eu un grand écho dans la population. Offrir une nouvelle définition du travail bouleverserait complètement notre système social puisqu’à sa base se trouve l’emploi salarié.

En tant que doctorant, participer au débat politique n’est pas simple. Je dois être proactif et développer un réseau si je souhaite apporter ma contribution scientifique à la définition des idées politiques. C’est le point de rencontre passionnant de mes intérêts à la fois pour la recherche et pour le militantisme.

Iriez-vous jusqu’à la désobéissance civile: faut-il sortir du labo pour descendre dans la rue?
Oui. Mais dans la rue, je suis citoyen, pas chercheur. Ma formation doctorale de sociologue me permet d’observer et analyser la société avec des outils qui ne sont pas à la portée de tout le monde, mais lorsque je m’assieds sur une autoroute pour demander au gouvernement de faire son travail, cela ne demande pas une acuité sociologique particulière. Cela fait depuis les années 1950-1960 que les effets du dérèglement climatique sont connus et aucune décision gouvernementale n’a été prise à la hauteur des dangers.

Pensez-vous que vous avez une légitimité, voire le devoir, en tant que scientifique, de participer au débat public?
En tant que citoyen, j’ai un devoir moral de participer à la vie publique, mais de plus si j’ai étudié les sciences sociales, c’est parce que j’ai toujours voulu comprendre la société pour pouvoir la transformer vers plus de justice et d’égalité.

Je pense que l’apport d’un·e scientifique varie beaucoup d’une science à l’autre; en sciences sociales, on s’exprime sur des sujets sur lesquels tout le monde a une opinion, puisqu’on parle des expériences vécues par tout un chacun. Toutefois, j’ai reçu une formation spécifique à la réflexivité, aux techniques d’observation, avec une connaissance approfondie de plusieurs réalités sociales, ce qui participe à former mon expertise sur certains sujets.

Enfin, je ne dirai pas ici qu’on doit conserver une neutralité, puisque la vie sociale est intrinsèquement politique, qu’elle est formée sur des valeurs. Mon devoir de participation s’accompagne par contre d’un devoir déontologique qui me demande d’être transparent sur les intérêts que je cherche à défendre. En l’occurrence, une transformation de la société qui entre dans les limites planétaires et concrétise l’idéal démocratique en termes de justice, de respect et d’égalité.

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  • Page de Robin Jolissaint
  • L’Association de développement durable, Myosotis, qui organise la Semaine de la durabilité du 6 au 10 mars 2023
  • Le magazine scientifique universitas consacrera également, dans son numéro d’avril 2023, une triple interview à la question.
  • Photo-portrait: © Samuel Bongard

Author

Exerce d’abord sa plume sur des pages culturelles et pédagogiques, puis revient à l’Unifr où elle avait déjà obtenu son Master en lettres. Rédactrice en chef d’Alma & Georges, elle profite de ses heures de travail pour pratiquer trois de ses marottes: écrire, rencontrer des passionnés et partager leurs histoires.

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