24.01.2013

De nouvelles mesures entretiennent le mystère de la taille du proton


Plus petit que petit: Une équipe internationale de chercheurs confirme ce qui avait été pressenti il y a plus de deux ans, à savoir que le proton est encore plus petit que ce que l’on avait supposé jusqu’alors. Les nouveaux résultats fournis par les chercheurs révèlent à la communauté scientifique de nouveaux mystères.


Détail du système de lasers développé pour mesurer la transition 2S-2P dans l'hydrogène muonique. (Image: Paul Scherrer Institut)

C’est en juillet 2010 que le team de recherche international laisse exploser la bombe: le proton, un des composants fondamentaux de la matière, est significativement plus petit que ce que l’on avait pu supposer jusqu’à présent. Les études sur l'hydrogène exotique, un atome d'hydrogène dans lequel un électron est remplacé par un muon chargé négativement qui gravite autour du noyau, ont livré une valeur significativement plus faible pour le rayon du proton (plus précisément: rayon de charge) par rapport aux autres mesures ponctuelles d'un atome d'hydrogène normal ou de la diffusion électron-proton. Une nouvelle mesure de la même équipe confirme d'une part cette valeur pour le rayon de charge et d'autre part permet pour la première fois la détermination du rayon magnétique du proton par spectroscopie laser de l'hydrogène muonique.

Les expériences ont été réalisées à l'Institut Paul Scherrer (PSI) à Villigen, en Suisse, seul centre de recherche au monde à produire un nombre suffisant de muons pour de telles recherches. Le groupe de recherche est composé entre autres de chercheurs de l'Institut d'optique quantique Max-Planck à Garching près de Munich, de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich et du Département de physique de l’Université de Fribourg. Les nouveaux résultats seront publiés le 25 janvier 2013 dans la revue américaine Science et ouvriront à nouveau le débat quant à savoir si les différences observées sont dues à un manque de compréhension des erreurs systématiques qui surviennent dans toutes les mesures, ou si, à la fin des comptes, il n’y aurait pas une « nouvelle physique » qui se cache là derrière.

Dans les études sur les lois naturelles, l'élément chimique hydrogène joue un rôle clé depuis de nombreuses années. Son noyau est constitué d'un seul proton autour duquel un électron gravite. Pour les niveaux d'énergie dans l'atome le plus simple possible, l'électrodynamique quantique a produit des prévisions très précises. Il faut considérer que la charge électrique du proton – contrairement à la charge de l'électron – n'est pas combinée en un seul point. Au contraire, le proton est constitué de quarks qui sont maintenus ensemble par des « particules de colle » (gluons), de sorte que, tant la charge électrique que le magnétisme contenus dans le proton, sont répartis et distribués sur une zone étendue. Cette expansion du proton conduit à un déplacement des niveaux d'énergie dans l'hydrogène. En adoptant le raisonnement inverse, c’est-à-dire à partir des déplacements mesurés, on peut donc obtenir les rayons électriques et magnétiques du proton.

L’avancée

Les premières mesures spectroscopiques de l'évolution des niveaux 2S d'énergie dans l'hydrogène muonique ont été publiées en 2010. Pour produire ces variantes exotiques d'hydrogène, les chercheurs ont bombardé de l'hydrogène avec des muons (ces particules ont presque toutes les propriétés identiques à celles des électrons, mais sont 200 fois plus lourdes) provenant de l'accélérateur principal du PSI. Les muons, lorsqu'ils sont assez lents, prennent la place des électrons dans l'atome d'hydrogène. En raison de sa grande masse, le muon est beaucoup plus proche du proton que ne l’est l'électron et, en conséquence, le décalage des niveaux d'énergie sera plus important. Leur évaluation pose des exigences élevées sur l'expérience : comme les atomes d'hydrogène muonique ont une durée de vie très courte (2 millionièmes de seconde seulement pour les muons), les impulsions de lumière pour l'excitation de la résonance doivent avoir lieu dans les quelques nanosecondes suivant l'enregistrement d'un muon sur la cible d'hydrogène.

Plus exact qu’exact


Dans l'expérience décrite dans le magazine Science, une autre transition dans l'hydrogène muonique a été déterminée. De ce fait, les chercheurs ont pu identifier un nouveau rayon électrique du proton. La valeur de 0.84087 (39) femtomètres (1 femtomètre = 0.000 000 000 000 001 mètre) est conforme à celle publiée en 2010 (0.84184 fm), mais encore 1,7 fois plus précise. L'écart avec les mesures de l'hydrogène normal ou de la diffusion électron-proton a donc augmenté. La nouvelle mesure permet également, et ce pour la première fois, la détermination du rayon magnétique du proton à partir de la spectroscopie laser de l'hydrogène muonique. Cette valeur déterminée de 0.87 (6) femtomètres est en adéquation avec les valeurs connues jusqu'à présent. Bien que la précision ne soit pas meilleure que celle des précédentes mesures, la spectroscopie laser de l'hydrogène muonique a le potentiel d'améliorer significativement la précision du calcul du rayon magnétique.

Un défi pour la science

Les causes de l'énigme du proton présentent diverses possibilités de recherche. D'une part, les mesures anciennes effectuées dans l'hydrogène et celles effectuées par la diffusion des électrons doivent être réanalysées ou reproduites. D'autre part, nombreux sont les théoriciens qui recherchent la solution à ces différences. Des propositions très intéressantes ont tenté d'expliquer cet écart par la physique dite au-delà du modèle standard. Mais il se pourrait aussi que le proton ait une structure beaucoup plus complexe qu'on ne le pensait, ce qui n’aurait été démontré que sous l'influence des muons. Pour comprendre cet effet au niveau fondamental, d'autres mesures sont nécessaires. Des expériences pour la diffusion muon-proton à PSI sont en cours d’élaboration. A l'accélérateur d'électrons de Mayence (Allemagne), de nouvelles mesures de précision (diffusion électron-proton) sont en discussion. Cette année, le même groupe de recherche va, pour la première fois, s'attaquer à la spectroscopie de l'hélium muonique au PSI.

Collaboration internationale

Le projet est une coopération de nombreuses institutions de différents pays, dont les compétences se trouvent dans les domaines de la physique des accélérateurs, de la physique atomique, de la technologie des lasers et dans le développement de nouveaux détecteurs. Les plus importantes sont: L’Institut Paul Scherrer PSI, Villigen, Suisse; l’Institut de physique des particules, Ecole polytechnique fédérale EPF de Zurich, Suisse; l’Institut Max-Planck d’optique quantique, Garching près de Munich, Allemagne; le Laboratoire Kastler Brossel, Paris, France; le Departamento de Física, Universidade de Coimbra, Coimbra, Portugal; l’Institut d’outils de rayonnement, Université de Stuttgart, Stuttgart, Allemagne; la Dausinger & Giesen GmbH, Stuttgart, Allemagne; le Département de physique de l’Université de Fribourg, Fribourg, Suisse.

Le Département de physique de l'Université de Fribourg a collaboré officiellement dans la mesure du rayon de charge du proton depuis le début et cela jusqu'en 2003, lorsque le professeur en charge du groupe des énergies moyennes (ME-Group) est parti à la retraite (Prof. L. Schaller). Grâce à un soutien partiel du Fonds national pour la recherche scientifique (SNF), la doctorante (L. Ludhova) et les chercheurs postdoctorat du groupe (F. Mulhauser et P. Knowles) ont pu continuer leur engagement dans l'expérience jusqu'au succès obtenu en 2010 dans la revue Nature et aujourd'hui dans la revue Science.


Lien vers la publication:

Proton structure from the measurement of 2S − 2P transition frequencies of muonic hydrogen.

Personnes de contact:
Université de Fribourg, Suisse: Dr Paul Knowles, +41 26 300 90 64, paul.knowles@unifr.ch
Ecole polytechnique fédérale EPF de Zurich, Suisse: Dr Aldo Antognini, +41 56 310 46 14, aldo@phys.ethz.ch
Institut Paul Scherrer PSI, Suisse: Dr Franz Kottmann, +41 56 310 35 02, franz.kottmann@psi.ch
Institut Max-Planck d’optique quantique, Allemagne: Dr Randolf Pohl, +49 -89 329 05 281, randolf.pohl@mpq.mpg.de
Université Ludwig-Maximilian, Allemagne: Prof. Dr Theodor W. Hänsch, +49 89 329 05 702, t.w.haensch@mpq.mpg.de