Désinformation19.05.2021

Désinformation: la physique à la rescousse


Dans une étude, publiée récemment dans Nature Communications Physics, une équipe de l’Université de Fribourg menée par le Docteur Matúš Medo, applique les méthodes de la physique des systèmes complexes au problème de la désinformation à l’âge d’Internet. Leur recherche montre comment des opinions erronées peuvent émerger naturellement, dans un système où les sources d’information sont très nombreuses.

Pour former notre opinion sur un sujet, nous nous informons parfois en profondeur. Mais, le plus souvent, cela nous prendrait trop de temps et nous nous appuyons alors sur l’opinion de sources que nous considérons fiables. Cette méthode est-elle solide? Comment réagit-elle à la désinformation? C’est ce que s’est demandé le Docteur Matúš Medo, physicien et spécialiste des systèmes complexes à l’Université de Fribourg.

«Tout est parti d’un cas personnel, explique-t-il. En lisant des informations sur la situation au Venezuela, je me suis demandé pour quel camp prendre parti, entre les manifestants et le gouvernement.» Comme la plupart d’entre nous, Matúš Medo n’a pas investi le temps nécessaire pour se mettre réellement au courant de l’historique et des détails de la situation. Il a formé son opinion en se basant sur celle d’autres acteurs, comme les Etats par exemple. «J’ai constaté que les pays auxquels je faisais confiance soutenaient un parti et ceux dont je me méfiais l’autre. J’ai donc formé mon opinion de cette manière.»

Une méthode fragile à l’âge d’Internet
Matúš Medo s’est ensuite demandé si cette manière de former une opinion était fiable. En tant que physicien, il a combiné simulations informatiques et calculs théoriques pour étudier cette question. Avec ses collègues, ils ont constaté que si cette méthode était relativement fiable lorsque le nombre de sujets sur lesquels on souhaitait se former une opinion était faible, elle devenait instable lorsque ce nombre augmentait. Dans un système complexe, où les sujets sont très nombreux, un même point de départ peut conduire à des conclusions diamétralement opposées. Un citoyen honnête, qui essaie de se former une opinion, peut ainsi atteindre une conclusion erronée. Le pire est qu’ensuite il devient lui-même un vecteur de désinformation.

Polarisation des opinions
Les spécialistes ont beaucoup étudié la propagation des fausses informations dans des systèmes comme les réseaux sociaux, au sein desquels une source, souvent mal intentionnée, sème une fausse information qui se propage ensuite à la manière d’un virus. Mais l’étude de l’équipe de Matúš Medo identifie un effet susceptible d’affecter même un système dans lequel tous les participants sont de bonne foi et tentent honnêtement de se former une opinion. Leur étude montre que, dès que le nombre d’opinions est assez élevé, la désinformation peut se former et se propager naturellement. Le système tend même à se «polariser» en deux groupes de sources d’information opposées qui ne se font plus mutuellement confiance – un phénomène bien connu sur les réseaux sociaux.

«Nos résultats fournissent des pistes pour mieux comprendre la désinformation et la propagation des informations erronées à l’âge de l’Internet, conclut Matúš Medo. Ils suggèrent qu’à mesure que le monde devient plus complexe, nos mécanismes simples de formation d’opinions peuvent nous trahir et nous mener à des opinions erronées. Les modèles indiquent que cet effet peut être contré en investissant un effort pour augmenter le nombre d’opinions fiables. Cela souligne l’importance de la pensée critique dans la société moderne hyperconnectée où les informations et les opinions sont surabondantes.»
 

Article: Medo, M., Mariani, M.S. & Lü, L. «The fragility of opinion formation in a complex world», Nature Commun Phys 4, 75 (2021).